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1957 - 2000    ma carrière de marin.
Pilot Elève Lieutenant
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Second Capitaine

1970 - Enfin ! Je suis convoqué pour embarquer comme Second à bord du Sologne, que j'ai connu en 1966 comme lieutenant. Il fait partie alors de ce que nous appelons la flotte des Indes, quatre navires qui trafiquent uniquement entre le golfe Persique et l'extrême Orient ou l'Afrique australe sans jamais revenir en Europe. Le Sologne fait la navette entre Mina al Ahmadi et Bangkok, avec du carburant avion et deux ou trois qualité d'essence pour voiture. Pour mes premières armes ce n'est pas une cargaison facile, plusieurs produits avec un navire fatigué qui a pas mal de fuites de cloisons et des vannes pas très étanches. Pour assurer la ségrégation, avant de charger, il faut démonter des vannes pour les remonter avec un espèce de plastique qui les rend étanches le temps du voyage. Il faut aussi mettre des joints pleins pour isoler certaines portions du collecteur d'assêchement. Je passe ma première nuit à bord au fond de citernes, avec le pompiste et deux matelots. Je découvre, je n'avais jamais vu une vanne de près. Au cours de ce travail, vers minuit, on casse un élément de tuyau d'assêchement près d'une vanne. Un peu paniqué je monte voir le commandant qui était dans son bureau et je lui rend compte de l'incident en lui demandant conseil. Réponse très nette "C'est vous le Second, démerdez-vous !" . Sur le coup j'étais dépité mais au fond ça ma rendu service et je me suis en effet démerdé sans plus jamais lui demander son avis.

Le commandant est un original, alcoolique et carrément fou par moments. Il se désintéresse de la navigation sauf quand pour faire le malin il fait du rase-cailloux à certains endroits. Par exemple pour sortir de golfe, chargé, il a l'habitude de passer par un minuscule passage de 500 mètres de large, entre des falaises. Cela ne présente aucun intérêt. Moi aussi j'aime bien passer près de la terre, mais là cela me semblait un risque bien inutile.
Nous ne pouvons pas monter à pleine charge à Bangkok et nous allégeons de moitié environ à un poste de sea-line sur coffres près d'une petite ïle. Grosse surprise lors de notre première arrivée, une grosse vedettes nous accoste alors que nous sommes encore en train de jnous présenter pour la prise de coffres. Les passagères, une trentaine de toutes jeunes filles, escaladebt gaiement les mains courantes et s'éparpillent dans le bord, et la vedette s'en va à terre. Quand l'amarrage est terminé chacun va faire un tour à sa cabine et ceux qui ont laissé la porte ouverte y trouve une "fiancée" parfois déjà installée dans le lit. Elles ne savaient pas qu'il y avait eu changement d'équipage et avaient repris leur place habituelle. Après quelques changements d'affectation, suivant affinités, l'ordre s'est établi dans le calme et la bonne humeur. L'escale à ce poste durait au moins deux jours et la présence de ces passagères était parfaitement organisée par leur mama-san. Une cuisinière avait installé ses fourneaux sur la plage arrière et préparait à manger pour les filles, et pour ceux du bord qui s'invitaient.
Chaque matin la vedette revenait et apportait des vêtements propres et repassés pour toutes. En fin de séjour la mama-san veillait à ce que les comptes soient réglés correctement et tout se passait très bien.
Mon bureau qui était ouvert 24 h sur 24 recevait celles qui n'avaient pas de partenaires et acceptaient volontiers un soda ou un thé. L'ambiance était très plaisante, sans aucun dérangement.
Dans la journée elles profitaient volontiers de la piscine.


Une fois allégés, nous montions la rivière jusqu'à Bangkok, où nous amarrions à un poste perdu parmi les maisons. Des gamins s'amusaient à grimper le long des aussières pour plonger. Mais il n'y avait aucun problème d'intrusions.
La chaleur était torride et décharger des produits aussi volatils que l'essence n'était pas toujours facile. Quand on arrivait en fond de citerne les pompes pouvaient facilement aspirer des gaz et désamorcer.
Lors de mon premier voyage le Pdg et l'ingénieur d'armement étaient venus nous voir. Après avoir bavardé avec le Cdt ils avaient passé devant mon bureau et le Pdg m'avait lancé : "Demain matin Cozanet, soyez prêt à 9 heures on vous emmène en excursion" - "Moi ? mais le déchargement !!!" - "Le Cdt ne veut pas venir alors il s'en occupera." Incroyable, au moments les plus délicats des opérations j'étais donc en balade à visiter des endroits magnifiques. Quand nous sommes revenus tout était fini. Le Cdt était tout fier d'exhiber les certificats d'assêchements. Il les avait arrachés aux surveyors à coup de rasades de whisky. Les surveyors étaint partis bien émêchés, le commandant l'était aussi, mais il restait un bon fond dans les citernes.
Spectacle permanent sur l'eau.

Sur la rivière, outre les cargos et embarcations classiques, on voyait passer des convois de chalands en tek magnifiques. Chargés ils avaient le pont dans l'eau qui arrivait jusqu'aux hiloires.

Le travail du Second c'est surtout la cargaison et les citernes. Il faut les visiter régulièrement pour noter les cassures ou autres défauts en vue des réparations. Les serpentins de réchauffage sur ces bateaux étaient en "queues de cochons" et non pas à plat au fond. En 1970 on avait pas encore l'obsession des casques et autres équipements de sécurité. Je favorisais les baskets pour être agile dans mes balades.
En quittant Bangkok, après mon premier voyage, nous sommes allés à Singapour pour des réparations bien méritées. Il avait fallu en particulier remplacer une grande partie des lisses de pont. Originalité du chantier de Singapour : pour installer les soudeurs sous le pont, au lieu d'échafauder à partir du bas ils avaient accroché aux barrots des plate-formes à hauteur pour que les soudeurs puissent travailler allongés. Et pour installer ces plate-formes on avait rempli d'eau les citernes. Puis les gréeurs, des Malais, étaient allés à la nage, en short, armés de fils de fer et d'un épissoir pour fabriquer des radeaux en bambou et les accrocher. Ensuite les citernes avaient été vidées et les soudeurs s'étaient installés. Génial et économique.
Pour nous les conditions de vie étaient atroces pendant le séjour en cale sèche. Nous étions plus bas que les bords de la cale, au fond, sans aucune brise pour rafraichir, sans climatisation, et avec le bruit incessant des ventilateurs à turbine en action sur les citernes. C'était épuisant et quand nous avons quitté le chantier il était temps. On avait des marins à bout, et deux d'entre eux ont déliré gravement pendant deux jours.
 
Conditions de travail . Il faut que j'explique un peu comment on travaillait sur ces vieux 20 000 tonnes. Ces navires étaient en retard techniquement et bien fatigués. Il faut dire que les citernes n'étaient pas peintes et qu'elles étaient lavées à l'eau de mer à chaque voyage. La corrosion était donc importante et même impressionnante sur un bateau de 16 ans. Certaines cloisons présentaient des cassures de plusieurs mètres de long, assez ouvertes pour voir d'une citerne à l'autre. Les fonds étaient rongés par des chancres profonds, donnant un aspect lunaire à la surface. On les cimentait pour essayer de limiter les degâts.
La SFTP ne fournissait aucun équipement tel que ventilateurs mécaniques, explosimètres, et appareils respiratoires fermés. Après lavage des citernes, on les ventilait au moyen de manches en toiles, munies de deux ailes qu'il fallait orienter suivant le vent apparent, les "bonnes sœurs". Quand on estimait que l'atmosphère était respirable, on testait en descendant doucement, avec des paliers. Si on commençait à voir danser des étoiles on remontait sur le pont, et on attendait quelques heures de plus. Les matelots descendaient pour évacuer la rouille et les sédiments. Ils en remplissaient des seaux en caoutchouc ou en alu, qui étaient hissés à la main par deux hommes restés sur le pont, qui les vidaient à la mer. En remuant les sédiments des gaz se libéraient et il fallait surveiller le comportement des hommes. Quand ils se mettaient à siffler, chanter et rire pour rien c'était le signal d'alarme, il fallait les faire remonter prendre l'air. Et pourtant il n'y avait pas d'accidents, seulement des malaises et des mauvais rêves.
 

Après deux mois de congés j'embarque de nouveau sur le Béarn hélas comme lieutenant encore, mais pour une courte période de trois semaines. Nous faisons des voyages très courts Lavéra - Bougie. Il fait très beau, ma femme a pu faire un voyage, la vie est belle. Il y a deux postes de chargement de part et d'autre d'un quai. On s'amarre face à la sortie et en arrivant il faut éviter dans l'avant-port qui est très éroit. A l'époque la situation est calme et on peut sortir se promener et manger des fruits de mer délicieux dans un petit restaurant sur le port. Le soir quand même c'est un epu risqué et des marins se sont fait détrousser en revenant à bord
.

Me revoilà Second, de nouveau sur un 20 000 tonnes, l'Artois. Lui aussi fait partie de "la flotte des Indes", il ne revient en Europe que très rarement. L'embarquement à Aden est très inhabituel, la SFTP a affrété un avion charter qui attendait à Paris pour une autre mission. Nous disposions donc d'une centaine de places. Plusieurs personnes du siège en avaient profité pour venir voir un bateau et comment se passait une relève. Il y avait le Pdg, un ingénieur d'armement et quelques secrétaires. Elles n'ont pas été déçues du voyage !!!

Une chaleur torride, malgré la saison, et des heures d'attente dans un aéroport affreux, sans climatisation. Ensuite la queue pour passer la douane et l'immigration et une demi heure de taxi pour rejoindre le bord. Tout cela dans une ambiance assez hostile, avec des gardes armés de fusils d'assaut dans tous les coins. La routine pour nous, l'horreur pour elles! Cette escale à Aden était exceptionnelle, ainsi que son retour à Rotterdam après chargement au Golfe. C'était sans doute pour un arrêt technique, je ne me souviens pas, mais j'ai débarqué pour prendre le peu de congés acquis et rembarquer trois semaines après.
Le bateau faisait la ligne Golfe Persique - Mozambique avec des carburants : essences, kérosène, gasoil. La ségrégation des lots était un casse-tête avec plusieurs fuites de cloisons entre citernes et des vannes souvent fuyardes. La plupart des produits étaient destinés à la Rhodésie et l'Afrique du Sud mais transitaient par Nacala et Lourenço Marques, devenue Maputo. Je n'ai aucune photo de cet embarquement et pas beaucoup de souvenirs. Le soin à la cargaison était difficile à cause du mauvais état du bateau. J'ai eu une avarie assez rare heureusement: en déchargement la citerne 4 Tribord pleine de gasoil nous avons commencé par avoir pas mal d'eau. Le terminal surveillait et a envoyé ce qu'on pompait dans un bas ce décantation jusqu'à ce que le produit soit pur. Mais en arrivant au fond impossible d'assécher, on pompait mais il restait toujours un pied de liquide. Je vais en parler au chef de quai qui me confirme "vous pouvez arrêter, ça fait une heure que vous pompez de l'eau"!!! Il y avait tout simplement une voie d'eau, juste sous le pied d'éléphant, la pipe d'aspiration. Réparation folklorique. On a préparé un gros épissoir en acier et une masse, et élingué le tuyautage pour pouvoir le soulever. Puis on a démonté aussi vite que possible, déplacé le pied de cheval, et découvert en effet un trou de deux ou trois cm de diamètre. On a alors introduit l'épissoir dans le trou et l'avons enfoncé à coups de masse. Quand il a agrandi et bien obturé le trou on l'a coupé au ras du fond pour pouvoir remettre en place l'aspiration. Un travail qu'on ne fait pas toujours dans une vie de Second.
Nous avons fait une relève complète, sauf commandant et chef le 5 juillet à Bandar el Mahshar, tout au fond du Golfe, à 50 km à l'intérieur des terres. Un enfer! L'endroit le plus chaud. La relève est arrivée vers 11 h du matin en bus, rouges et soufflant en portant leurs valises. Mon remplaçant, qui en était à son premier embarquement de Second était très gros, il souffrait beaucoup de cette chaleur. Trois heures après nous débarquions, il faisait 51° à l'ombre sur le pont et j'avais pitié des nouveaux. Trajet en minibus, sans clim, jusqu'à Abadan, avion jusqu'à Téhéran. Nous étions 27 avec un billet de groupe sur Japan Air Lines. Peu avant le décollage, annulation du vol pour ennui technique, un flexible hydraulique crevé. Notre groupe était trop nombreux pour être réparti sur d'autres vols. Chance, nous avons ainsi passé 24 heures dans un magnifique hôtel en centre ville. L'équipage a trouvé le temps long et n'a pas bougé de l'hôtel. Avec les deux lieutenants nous avons pris un taxi pour visiter et nous avons vu en particulier les bijoux de la couronne. Somptueuse exposition d'un incroyable amoncellement de pierres et de perles, dans le sous sol de la banque centrale. C'était encore le règne du Shah, et l'emplacement de certains bijoux était vide, portant une étiquette "Ce bijou est en ce moment confié à l'impératrice". Vol de retour agréable, avec un service de cabine remarquable. En temps que chef de groupe j'ai été invité par le pilote à passer une bonne heure dans la cabine, entre les deux pilotes, fascinant.


Assistance au VIOLANDA
Un jour en remontant vers le golfe persique, à hauteur de la corne de l'Afrique nous recevons un appel de détresse d'un pétrolier pas loin de nous. Le Violanda, 52 000 tonnes, construit en 1958, appartenant à Goulandris revient chargé du golfe. Il annonce qu'il a une voie d'eau et demande du secours. Nous sommes à ses cotés deux ou trois heures après, ainsi qu'un autre pétrolier lège. Pas de VHF, le contact se fait par radio en morse. La mousson est assez fraîche et le pont du Violanda est balayé par la mer. L'autre pétrolier se rapproche à quelques dizaines de mètres de son étrave, en marche arrière, avec l'intention sans doute de passer une remorque, mais il renonce et s'éloigne un peu. Nous longeons le Violanda à moins de 50 m et je suggère au Cdt de tenter un remorquage, il hésite mais le Chef mécanicien s'y oppose formellement, et le Cdt abandonne l'idée. Pourtant nous avons appris que la voie d'eau se trouve dans la machine : une porte de condenseur a cassé et la vanne de coque, complètement grippée, n'a pas pu être fermée. Or un pétrolier chargé, avec le compartiment machine envahi, ne coule pas, mais l'équipage n'a pas l'air de le croire et décide d'abandonner.
 
Ils mettent à l'eau les embarcations, et c'est sportif. Par miracle il n'y a pas de blessé, et l'embarcation qui se trouve de notre coté s'écarte petit à petit à force d'avirons. Le Cdt manœuvre pour s'en approcher et moi je prépare le lance-amarres.

J'ai de la chance et mon premier tir est bon, la ligne tombe à un mètre de l'embarcation et les marins la récupèrent sans difficulté. Ils abandonnent les avirons et se déhalent avec la verine que nous leur envoyons. Entre temps j'ai fait mettre un filet et une échelle de pilote en pendant. Le filet permet à plusieurs personnes de grimper en même temps. Nous récupérons ainsi la moitié de l'équipage grec, l'autre moitié a été sauvée par l'autre pétrolier sur zone. Une douzaine de Grecs, et une femme, celle du Second mécanicien, passeront ainsi quelques jours avec nous. Leur bateau récent, à la belle silhouette, faisait notre admiration mais ils sonts bluffés par la qualité des emménagements chez nous, qui nous paraissaient pourtant modestes. Chez eux c'était de la tôle peinte, sans aucune isolation ni décoration. Je suis amusé de constater que tous ces marins viennent de la même ile et que les relations entre eux ne dépendent pas de leur fonction à bord, mais de leurs liens à terre.
Le Violanda abandonné sera pris en charge par un remorqueur et emmené à Aden. Il reprendra du service comme Pella, et sera déclaré perte totale en 1980

Après deux mois de congés d'été, je retrouve l'Armagnac, cette fois-ci comme Second. Sous les ordres d'un commandant redoutable surnommé "Peter the black", une grande gueule ! Je fais deux embarquements consécutifs, dont un très court, juste assez pour râter les fêtes de fin d'année.
Je n'ai pas de souvenir des voyages, rien de particulier. Je suis maintenant assez expérimenté pour être à l'aise et le bateau est facile. En décembre coup de chien en Méditerranée :
 
Au mois d'octobre l'arrêt technique se passe à Brest. J'habite à 25 km de là et la famille peut venir à bord. Mes deux plus jeunes enfants sont enthousiastes pour "aider" le bosco à recevoir une palanquée de provisions. C'est un homme charmant, surnommé "l'oiseau bleu", qui se prête au jeu avec bonhommie.
Ils étaient déjà venus à bord à Donges quatre ans plus tôt. A cette époque ils étaient arrivés dans ma cabine et demandaient encore "Quand est-ce qu'on va voir le bateau de papa ?" En réponse je les avais conduits près d'une embarcation en leur disant "Le voilà mon bateau" et ils avaient été satisfaits. Le pétrolier était beaucoup trop grand pour qu'ils le prennent pour un bateau !