accueil
1957 - 2000    ma carrière de marin.
Pilot Elève Lieutenant
1964
1970
Second
1970
1971
Second
1972
1975
Second
1976
1977
Cdt
1978
1982
Cdt
1983
1986

Bahamas
1986
Cdt
1987
1990
1990
1994
1994
1998
1999

Commandant. 1983-1985
En débarquant du TOURAINE je suis convoqué par le Capitaine d'Armement. Il me demande si je suis d'accord pour prendre le commandement d'un chimiquier. La SFTP reprend la gestion des ANCO ENERGIE et ANCO ENTENTE qui étaient jusqu'ici gérés par une autre compagnie du groupe dont je préfère taire le nom, je n'en pense pas de bien.

Je ne connais strictement rien aux chimiquiers, mais je lui répond que je ne suis sans doute pas plus idiot que ceux de l'autre boïte, et que j'accepte. Je suis content de découvrir quelque chose de nouveau. Pour commander un chimiquier il faut un certificat spécial. Rien de bien méchant mais il n'y a pas de formation en France et je dois passer une semaine au Leith Nautical Collège, près d'Edimbourg. Très bonne occasion d'une balade avec ma femme et j'y vais en voiture, en passant par Roscoff. Nous sommes une dizaine d'officiers à suivre les cours, tous britanniques, de joyeux drilles qui draguent gentiment ma femme !
Me voilà muni du certificat de formation exigé par les conventions internationales. Le stage n'a pas été inutile, J'ai appris pas mal de choses. Si j'ai l'habitude des précautions à prendre en transportant du pétrole, les produits chimiques sont très variés, parfois très dangereux, avec des précautions spécifiques pour certains.


Je fais connaissance avec l'ANCO ENERGIE à Durban où il est en déchargement.
IMO 7383243 - 165,08 x 25,00 x 13,01 - TE 9,94 - JB 15 377 - TPL 25 200
37 cuves, plus 4 sur le pont, 4 chambres de pompes, et 18 pompes immergées.
P 8 948 kW (Sulzer 6RND76) - V 15,5 nds
Construit en 1974 par AS Horten (Norvège)

Le moins qu'on puisse dire c'est qu'il n'a pas bon aspect. Beaucoup de rouille partout, et pas de traces d'entretien récent. Je prends une série de photos pour couvrir mes arrières. Si l'armement ne voit le bateau que dans plusieurs mois on va me demander des comptes.

Le passavant n'est que rouille, les tuyaux couverts de chancres énormes et épais, plusieurs échelles sont fragilisées et même dangereuses.
Les anneaux renforçant les ballons de pont sont rongés, certaines pièces de treuils sont en dentelle, un désastre ! Je m'en étonne auprès de mon prédécesseur qui m'explique "Ici on n'a pas de temps pour la peinture, on met du galvanisé et quand c'est pourri on change !!!" Avec la SFTP cela va changer, mais il y a un travail énorme à faire.
Je suis en doublure pour ma première traversée qui nous mène à Karachi. Le temps de me familiariser avec le bateau et de mettre en place l'organisation du travail et de la sécurité habituels à la compagnie. Mon prédécesseur en a vite marre de me voir travailler et enrage de ne pas débarquer à Karachi, il doit attendre l'escale suivante, Bombay.
En approchant de Bombay on peut admirer quelques boutres, toutes voiles dehors, magnifiques. Et aussi une flotille de petits chalutiers. Je stoppe près de l'un d'eux et je saute à bord, le vêtement rouge, pour examiner la pèche. Le pécheur me vend volontiers quelques kilos de crevettes de bonne taille.
Entretien peinture à Karachi. Lors de cette première escale à Karachi le Capitaine de port Stolt, qui supervise les escales Inde et Pakistan, était venu de Bombay pour faire connaissance avec le bateau. C'était un ancien commandant, Captain Patkar, distingué, sur de soi, et noir comme un chaudron. Il avait été choqué par l'état apparent du bateau et m'avait dit "Vous ne pouvez pas venir comme ça à Bombay, cela incommoderait les clients !" Les clients en effet, gros industriels, aimaient venir voir le navire qui transporterait leurs produits. Que faire ? Capt. Patkar m'explique : l'agent va convoquer un marchand d'hommes et il faut lui commander une centaine de peintres pour une intervention immédiate. J'étais ahuri mais il m'assura que ça ne coûterait pas cher et que c'était indispensable. Allons-y donc. Le marchand d'hommes vient me voir et je lui explique qu'il faut repeindre le château et tout ce qui est blanc. Patkar lui intime de se presser au maximum. Une ou deux heures après je vois arriver par camions une centaine de travailleurs armés de seaux, pinceaux et échafauds, encadrés par des chefs d'équipe. Nous étions en opérations commerciales, pas de problème. Le lendemain pour le départ le travail était fini, certes pas très soigné, mais le bateau avait quand même meilleure mine. Nous étions présentables pour Bombay. Coût de l'opération dérisoire, je ne me souviens pas du chiffre mais c'était de l'ordre de 500 $. Patkar m'avait expliqué le système : le marchand d'hommes avait un vaste camp fermé où il logeait et nourrissait des centaines d'hommes, gratuitement. Suivant les besoins il mobilisait chaque jour des groupes de travailleurs, plus ou moins qualifiés, pour divers chantiers. Ceux qui travaillaient touchaient aux alentours d'1$ par jour. Une forme d'esclavage.

Soirée mondaine à bord. Pour compenser l'aspect du navire le Capt Paktar m'avait demandé d'organiser une réception à bord pour cette première escale. Corvée ! Il était prévu une vingtaine d'invités, que des hommes, mais de différentes habitudes alimentaires. Omnivores, pas de viande, pas d'œufs, pas de poisson ou végétariens stricts. Pas facile de préparer un buffet, mais l'équipe de la cuisine s'était débrouillé magnifiquement. On avait pu présenter des plateaux de toutes sortes de canapés et samosas. Pour arroser cela, personne n'avait d'objection au vin ou au whisky, et j'avais sorti quelques bouteilles de vin "de précision". Nous étions amarrés au bout d'un wharf de près d'un kilomètre de long, trop étroit pour un véhicule, les invités sont arrivés à pied, chacun accompagné de domestiques. Tous ont semblé apprécier le buffet et surtout la boisson. Les bouteilles de vin ont vite disparu, et j'ai fait passer au cambusard qui a eu un franc succès. J'aurais dû garder les bonnes bouteilles. L'ambiance est devenue folle au fur et à mesure que les invités s'imbibaient et il a fallu presque les pousser dehors avant qu'ils s'écroulent. Ils sont tous partis ravis, soutenus par leurs domestiques. Les lendemains ont sans doute été durs !

A Bombay nous faisons deux postes, un premier poste pour produits chimiques assez loin et isolé, puis un poste dans le port, Indira Dock, pour charger des huiles végétales.
Nous chargeons à partir de petits camions citernes au moyen d'une moto-pompe. L'engin arrive en remorque d'un chariot tiré par deux zébus. Le fût de gasole suivait sur un autre chariot. Quel changement avec le pétrole, ici on ne compte pas en milliers de m3/heure ! C'est plutôt de l'ordre d'un camion de 10 m3 par heure.


Nous avons aussi fait un déchargement à Calcutta. Je n'ai hélas pas de photos, mais cette escale a laissé en moi une empreinte indélébile. L'accès au poste, à une centaine de kilomètres de l'embouchure du Gange était laborieux. Pas beaucoup de fond, contraintes d'heures de marée, mais nous avons quand même fait la montée sans avoir à mouiller au milieu, comme on me l'avait fait craindre. Le poste d'amarrage, au milieu d'un quartier genre bidonville, était composé d'un appontement en bois d'un trentaine de mètres de long. Les bittes d'amarrage étaient cachées dans la verdure, et l'amarrage du bord était complété par quatre amarres de poste, faites de lourdes chaînes qu'il fallait récupérer au fond. Les lamaneurs dataient d'un autre siècle. Ils armaient deux grosses baleinières avec huit rameurs, deux amarreurs et un patron. Une fois les amarres du bord établies, vers 12 h 30 le pilote m'a dit "Now Captain it will take some time to complete mooring. Please go and have your lunch and a nap, no hurry!" J'ai suivi son avis et en effet il a fallu au moins quatre heures aux lamaneurs pour mettre en place les amarres de poste. Le déchargement une fois fini, l'agent m'informa que nous resterions à quai toute la journée du lendemain, pas de pilote disponible.

Je lui demandai donc de me fournir une voiture pour pouvoir excursionner. C'est ainsi qu'en compagnie du Second et d'un Lieutenant, nous avons passé la journée à nous promener jusqu'à Chandernagor. Plongée dans un océan de misère. L'expérience nous a secoués et nous avons mis plusieurs jours à nous en remettre.

Spectacle étonnant ce transport de paille remontant le Gange. Une énorme meule de paille est arrimée sur un chaland. A l'avant il reste de la place pour quatre rameurs, une voile dérisoire est plantée au sommet, et la barre est prolongée d'une longue perche car le barreur se tient tout en haut. Une autre embarcation sert de remorqueur. Le convoi ne peut progresser qu'à marée montante, là il s'apprête à mouiller pour la nuit.

Ce plan de chargement partiel donne une idée de la complexité des opérations commerciales. J'ai vu un record de 39 produits différents à bord. L'Energie n'est pas à la pointe, il a quatre chambres des pompes, avec des pompes alternatives à vapeur, et 18 pompes immergées hydrauliques. Les tuyautages de chambres des pompes comportent des joints à éclipse, permettant de fractionner les circuits en assurant la ségrégation des produits.
Chaque cuve a une ligne de pont particulière. Quand un produit est réparti dans plusieurs cuves, comme ici 17 cuves de benzène, on prépare des "bouclages" entre les manifolds avec des flexibles, pour réunir les cuves entre elles et déchager par une seule vanne.

Les surveyors. Quand on arrive au port les cargaisons sont mesurées et inspectées par des "surveyors" appointés par chaque réceptionnaire. En Inde ils allaient souvent par trois pour une cargaison, le chef qui faisait les papiers, l'adjoint qui assistait à la mesure de niveaux et à la prise d'échantillons, le lampiste qui portait le matériel. A l'arrivée à Bombay le Second était donc assailli par une foule de surveyors. C'était la cohue et en officier énergique il avait bien organisé les formalités. D'abord "Everybody out !", Ensuite il demandait par exmple "Who is in charge of ortho-xylène ?" Trois mains se levaient, "OK, in" . Les trois élus étaient admis dans la centrale cargaison pour faire leur boulot, et tous les autres se pressaient aux sabords pour voir comment ça se passait. Exemple remarquable : Pour une cargaison de graisse minérale réchauffée à 80° pour être pompable le surveyor avait fait une note de protestation parce que la température était inférieure de 1° à celle de la charte. Le Second l'avait trouvé sévère, puis un peu plus tard il s'était aperçu que nous déchargions cette graisse dans un chalant ouvert, sans aucun moyen de réchauffage. Il avait alors demandé au surveyor comment ils allaient pouvoir décharger cette graisse qui se figeait très vite. Pas compliqué lui avait-il répondu, on laisse refroidir quelques jours et ensuite une noria de dockers décharge au moyen de seaux portés à la main, pendant deux ou trois semaines. C'était bien la peine de protester pour 79 au lieu de 80° !!!

Ce premier embarquement se termine à Kaoh Shiung où j'étais venu en 75 avec le Normandie. Cette fois ci je suis invité à diner par l'agent, en compagnie du Chef, dans un magnifique restaurant chinois, une expérience superbe. Trois étages, grandes tables rondes, on choisit son poisson vivant ou des crabes et crevettes, patronne superbe en robe chinoise moulante qui vient nous saluer. L'ambiance est bien différente d'un restaurant européen, ça chahute, ça rigole, des familles entières de la grand-mère au bébé se régalent. Et la cuisine est délicieuse. J'en profite aussi, avant de prendre l'avion, pour me faire soigner une tendinite au coude. J'avais demandé à l'agent de m'envoyer chez un médecin chinois traditionnel. Il avait beaucoup ri et m'avait répondu qu'il m'enverrait chez un "vrai médecin". Et je me suis retrouvé chez un praticien qui avait fait ses études à la Sorbonne et qui était ravi de parler français pour évoquer ses souvenirs. Il prenait tout son temps, avait deux jeunes assistantes charmantes, et après cinq minutes de bavardage tout en me palpant le coude, il m'a fait une seule injection, qui m'a guéri.

     Pour mon deuxième embarquement je rejoins l'ANCO ENERGIE à Houston. Les circonstances sont exceptionnelles. Un ouragan approche. Le bateau est amarré à Texas City, et le taxi qui me conduit à bord en fin d'après-midi me dit que c'est sa dernière course, avant d'aller se mettre à l'abri. Dans le port le niveau est déjà anormal, au ras des quais. Dans la soirée Alicia frappe en plein, l'amarrage a été vérifié et renforcé, les opérations sont interrompues, nous ne craignons rien à bord. Mais le spectacle vu en direct à la télé est hallucinant. On voit les ravages à Galveston, les grandes portes vitrées d'un grand hôtel en bord de mer sont pulvérisées
et les gens qui se trouvent dans le hall sont balayées et projetées dans la rue. Les vitrines de magasins sont explosées, les autos mitrailleuses de la Garde Nationale patrouillent pour éviter les pillages et les propriétaires des magasins sont sur place et exhibent leur fusil à pompe, ou d'assaut. A bord impossible de mettre le nez dehors, le vent atteint 100 nœuds. Le lendemain le calme revient, nous ne déplorons que la perte d'une antenne fouet, mais dans le bassin deux chalutiers ont coulé en venant chercher un abri, des réservoirs on perdu leur toit, un tas de choses sont cassées. Dans la journée je vais à Houston pour une formalité et les dégâts sont impressionnants, des centaines de gens sont sans abri, regroupés dans des campements de fortune. Le nombre de vitres manquantes sur les immeubles, à tous les étages, est énorme, elles ont été cassées par les graviers volant depuis les toits de gratte-ciels récemment construits. L'amusant de la chose c'est que cette photo m'a été montrée par mon fils vingt ans après, et il a été bluffé quand je lui ai dit qu'à ce moment là j'y étais.
L'ensemble des ports Houston - Texas-City - Galveston constitue sans doute le plus gros port chimiquier des Etats Unis. Nous y restons en général 8 ou 10 jours et travaillons à autant de postes différents. A l'arrivée, en venant des Philippines, nous déchargeons surtout des huiles végétales, palme et coco. Ensuite il faut laver les citernes pour recharger des produits chimiques. Au cours de cette escale le bateau change de nom pour devenir STOLT ENERGIE. Stolt Nielsen et la SFTP ont conclu une "joint venture". Houston est la principale base de Stolt Nielsen aux USA, elle y a des bureaux, des quais, des réservoirs, des wagons... Les bateaux en escale, souvent trois ou quatre, sont en liaison permanente par VHF avec l'agent et avec le bureau. Au moindre problème ils sont prêts à réagir.
Après trois mois de bord je débarque à San Francisco, bel endroit mais je ne vois pas grand chose et il y a 9 000 kms d'avion pour rentrer. Je n'ai pas de souvenirs particuliers de ces embarquements successifs. Débarqué à San Francisco je rembarque deux mois et demi plus tard à Karachi, pour débarquer trois mois après à New York. J'accumule les heures d'avion, que j'apprécie de moins en moins.
A la moitié de me congés on me rappelle pour remplacer en urgence mon collègue du STOLT ENTENTE ! Je ne suis pas content, mais ne peux pas refuser et au lieu de passer une partie de l'été avec ma famille me voilà embarquant à Hong Kong le 16 juin. Paris - HKG direct en avion c'est long, pas loin de 10 000 kms. En arrivant je ne peux plus mettre mettre mes chaussures tellement mes pieds ont enflé. Heureusement je passe une nuit à l'hôtel avant l'arrivée du bateau. A cette époque l'atterrissage à Hong-Kong était spectaculaire, les pilotes avaient une licence spéciale.
Il fallait faire un virage à 90°, au dessus des immeubles, pour plonger brutalement sur la piste. Vu de son siège on croyait que l'aile allait toucher le toit de l'hôtel méridien. A l'époque aussi les postes pour chimiquiers étaient juste à coté des pistes, en pleine ville. On arrivait sur rade par l'est, la baie des Jonques, juste dans l'axe des pistes, quand un avion décollait on aurait pu compter les rivets.
Quand on est au mouillage sur rade de Victoria, des jonques comme celle-ci viennent le long du bord proposer toutes sortes de marchandises. Electronique en particulier.
L'Entente est un sister-ship de l'Energie, mais ce n'est pas "mon" bateau. Je suis content de le quitter après deux mois en débarquant à la Nouvelle Orléans.
New Orleans n'est pas une escale agréable. Il y a 220 milles depuis l'entrée du delta jusqu'à Baton Rouge, l'endroit le plus en amont pour nous. Les postes que nous fréquentons sont échelonnés sur le fleuve, en amont de la ville, souvent sur la rive droite. Il n'est pratiquement pas question d'aller se promener en ville à cause de la distance et du coût des taxis. L'été la chaleur est tropicale. Je débarque au mois d'aôut, le plus chaud

Pour l'embarquement suivant je retrouve "mon" Stolt Energie, au bout du monde, à Kitimat au fond d'un fjord de Colombie Britannique. Encore 8 000 km d'avion. Les circonstances sont bien tristes, je viens remplacer un collègue dont le fils a été tué dans un accident. Nous chargeons là du méthanol et je ne sais plus où nous sommes allés décharger, mais quatre mois plus tard je débarque à Karachi.
L'embarquement suivant est court, je ne sais plus pourquoi, et je débarque à Suez ce qui est assez rare. Le retour à partir de Suez est toujours assez désagréable, avec les formalités multiples et les attentes interminables on ne sait pas pourquoi.
Puis encore un embarquement lointain, à Singapour.



Quelque images éparses de cette époque :
Les tailleurs indiens. L'escale de Bombay était magnifique pour les achats de souvenirs au magasin d'état "Cottage Industries". Soie, ivoire, bois sculpté et marqueterie, tapis... C'était l'occasion aussi de se faire confectionner des vêtements sur mesure. Un tailleur venait à bord avec des échantillons de tissus et prenait les commandes. On était livré 24 heures plus tard, pour un prix dérisoire. La chemisette et le pantalon que je porte ci-dessous m'avaient coûté quelques dollars. Avec l'accord du responsable des achats à la boite j'avais fait une grosse commande de combinaisons de travail qui avait ravi le marchand. Je lui avais demandé une centaine de combinaisons bleues de deux modèles, coton épais et manches longues, coton léger et manches courtes, avec le nom du bateau brodé dans le dos et l'emblème de la compagnie sur la poitrine. Le tout pour le dixième du prix en France. Le Chef mécanicien, un bon ami, en avait profité pour commander un tailleur pantalon pour femme, en soie. Il admirait beaucoup celui que portait ma femme et l'avait donné comme modèle. Mais ne parlant pas trois mots d'anglais il avait expliqué au tailleur qu'il voulait une taille au dessous. Avec beaucoup de gestes il avait insisté longuement que sa femme était plus petite que la mienne. Il avait sans doute un peu trop insisté, on lui a livré le lendemain un magnifique tailleur taille 12 ans !!!

Arrivée sur rade de Bombay, je pose complaisament avec ma casquette Stolt !

Un jeune tatoueur débrouillard proposait ses services à bord. Son appareil était fait d'une vieille sonnette, alimentée par une batterie, et de tuyaux de crayons à bille comme réservoirs d'encre.

 
Chargement d'huile de palme en Indonésie, à Belawan. Les camions déversent deux par deux leur chargement dans un grand bac carré en tôle, d'où une moto-pompe nous l'envoit.
L'escale de Belawan comporte des risques, des voyoux proposent aux marins de les conduite à terre sur leur scooter et les détroussent en chemin. Un lieutenant qui connaissait cette mauvaixe pratique, et qui n'avait pas froid aux yeux, avait accepté ce service pour revenir à bord vers minuit. Aussitôt démarré, assis sur le tansad, il avait collé la lame d'un couteau contre la gorge du conducteur en lui ordonnant "Straight to the ship, fast..." . Tactique très efficace, voyage rapide et gratuit.
 
Ma femme était à bord ce jour là, il faisait chaud bien sûr au golfe Persique, et elle avait eu l'idée de pique niquer.
     
Pique-nique sur la passerelle supérieure, quelle idée !
     
Hamac en rotin bien apprécié dans une légère brise

Ce jour là, j'avais reçu l'instruction de faire un transfert ship-to-ship, à partir du Stolt Venture. Le rendez-vous était fixé au large de Dubaï, où le Venture nous attendait. Il avait été muni des défenses Yokohama. L'opération devait se dérouler sans aucune aide extérieure. J'en suis enchanté, c'est inhabituel, d'habitude on nous embarque un superviseur. Cette fois ci j'aurai la main. J'arrive au coucher du soleil par beau temps, mer plate, conditions idéales pour se mettre à couple. Contacté par VHF l'autre commandant ne semble pas très à l'aise et me demande comment nous allons procéder. Moi ça m'amuse de faire la manœuvre alors je lui dis de ne pas bouger, que je me charge de l'accoster. Il semble très content de cet arrangement. Manœuvre classique, je me présente tout doucement sous un léger angle, et quand nous sommes presque côte à côte, un petit coup en arrière me met parallèle, à quelques mètres de l'autre. Je suis content de moi.
Je vais avec mon Second à bord du Venture pour signer les check-lists règlementaires, et je suis amusé et flatté quand l'autre commandant me dit "On voit que vous avez l'habitude de faire ça" !



En revenant de Singapour vers l'Europe nous relâchons à Djibouti pour une relève d'équipage, et quelle relève ! Quelques jours avant, le PDG m'avait téléphoné pour m'annoncer que nous passerions sous pavillon Bahamas. Il me demande de lui confirmer rapidement si j'accepte de rester à bord, ainsi que le Chef Mécanicien et le Second Capitaine. Il me dit aussi de proposer au pompiste et à un ouvrier mécanicien de rester eux aussi.Cela ne me pose pas de problème, ni aux autres officiers. Nous savions que cela arriverait un jour ou l'autre et nous verrons bien d'ici l'arrivée à Rotterdam si nous voulons continuer. Les maïtres eux refusent tout net. Nous avons donc mouillé sur rade de Djibouti pour embarquer l'équipage philippin. La passation est rapide et, deux heures après, la même vedette débarque les Français. On se demandait comment allait se passer la suite et la surprise est aussi grande que bonne. Le nouvel équipage connait son affaire, ils ont tous l'expériende du chimique et on voit qu'ils sont débrouillards et ont l'habitude d'embarquer sur un nouveau bateau. Le bosco, Ernesto Basmayor, vient de lui même se présenter à mon bureau, il me fait une excellente impression. Il m'assure qu'il fera travailler l'équipage de son mieux et me demande mes premières instructions. Je lui dit qu'il va falloir tout de suite repeindre le nom du port à la poupe, et il me répond que deux matelots sont en train de préparer l'échafaud et qu'il va leur donner la peinture !!
Un cadre de Wallem, qui fournit l'équipage, est venu m'initier à leurs méthodes de travail. Il m'explique que les marins ont un contrat conforme aux règles de l'OIT mais que la règle tacite est simple: ils travaillent quand on leur dit, sans considération d'heures. A nous d'être raisonnables et de les traiter correctement. Pour l'organisation du travail on ne peut pas rêver plus simple. Je n'ai aucune intention d'abuser et de me comporter en esclavagiste, mais fini les récriminations à propos d'heures supplémentaires ou d'allocations spéciales qui empoisonnent la vie avec un équipage français.
Avec eux embarque aussi un inspecteur Bahamas, chargé d'établir les nouveaux certificats pendant la traversée Djibouti - Suez. C'est un ancien officier de marine égypien, cultivé et agréable, qui se comporte avec la plus grande courtoisie.
Et nous voilà partis le lendemain matin en direction du Canal, avec notre nouvel équipage. Nous avons quelques jours devant nous pour prendre nos marques avant les prochaines opérations commerciales à Rotterdam.