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1957 - 2000    ma carrière de marin.
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Bahamas
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Commandant. 1986-....
Les années sous pavillon Bahamas commencent le 4 janvier 1986, en appareillant de Djibouti.
Tout se passe bien, très bien. Nous découvrons la vie avec un équipage souriant, joyeux et poli, en plus d'être compétent. Les Philippins ont un contrat de dix mois, avec un salaire très bas par rapport aux Français, mais mirobolants par rapport aux salaires philippins. Le garçon de carré, Emilio, est un individu charmant, parfait dans son travail. Il a le plus petit salaire du bord, dans les 300 $, mais sa femme qui est institutrice en gagne 20. Il me parle un peu de sa vie au pays, il a une belle maison, une piscine et deux domestiques. Alors je suis content pour lui et de savoir qu'il n'est pas exploité ici avec ses 300 $ par mois. Proportionnellement il est mieux payé que moi.

Marlboro canal . La présence à bord de l'officier de marine égyptien donne lieu à des scènes divertissantes en arrivant à Suez. Je lui avais expliqué pourquoi on appelait le canal de Suez le "Marlboro canal". Il était choqué et incrédule quand je lui décrivais l'attitude de ses compatriotes qui exigeaient des cigarettes et nous harcelaient pendant tout le transit. A l'arrivée sur rade de Suez, il était venu à la passerelle, avec ses galons et sa casquette chamarrée. On n'avait pas encore stoppé que des embarcations nous avaient accosté et des marchands de fatras étaient à bord, malgré mes protestations. Outré notre inspecteur m'avait pris le mégaphone des mains et avait hurlé une longue diatribe en arabe, les envahisseurs étaient repartis la queue basse. Je lui ai demandé ce qu'il avait dit, il leur avait fait la morale en leur demandant "Que diriez vous si des étrangers entraient chez vous sans votre permission, sans même vous saluer ? Honte à vous, vous donnez une mauvaise image de votre pays etc."
Ensuite pour accueillir dans mon bureau les "autorités" multiples il m'avait demandé d'être là et avait affiché derrière moi au dos d'une carte, en arabe bien sûr : "Nous n'avons pas de cigarettes, et nous ne pouvons rien donner, merci de ne pas nous mettre dans l'embarras en demandant" . Les douaniers et autres mendiants étaient piteux et avant de partir ils me montraient l'affiche avec un air suppliant et interrogatif. Je haussais les épaules en faisant "hé oui !" et j'ai économisé une dizaine de cartouches de Marlboro. Mais l'inspecteur égyptien était scandalisé et m'assurait qu'il allait faire un rapport.
Il faut dire que le transit est une corvée irritante avec ces incessantes demandes de bakchich. Cela commence sur rade avec le remorqueur qui vient juste vous dire votre numéro dans le convoi mais ne repart pas sans une cartouche. La seule occupation de ce gros remorqueur est de tourner sur rade toute la journée pour faire la quête. Ensuite chaque intervenant demande whisky ou marlboro, quatre pilotes, santé, immigration, douane. Le dernier pilote à la sortie ne reste à la passerelle qu'une minute le temps de faire signer son bordereau et empocher ses cigarettes. Toute la nuit, les petits intervenants comme les canotiers tapaient à ma porte pour faire signer un torchon de papier et demander un cadeau.

L'escale de Rotterdam était vraiment le test pour le nouvel équipage. Travail intense et compliqué pendant huit jours, à plusieurs postes. On va d'abord à Vlaardingen, sur la rive droite, pour décharger toutes les huiles végétales. Il y a différentes qualités, différents lots, qui partent soit dans des camions citernes, soit dans des bacs à terre. Je note en passant que la plupart des camions sont français et vont décharger en France, pourtant on ne touche pas Dunkerque! On décharge cinq ou six citernes à la fois, et dès qu'il y a des citernes vides on commence le lavage. Mais la plupart des ces huiles sont réchauffées aux alentours de 50° pour être pompables. Quand on arrive au fond et que les serpentins de réchauffage vont découvrir, une équipe descend pour pousser avec des raclettes en caoutchouc les derniers centimètres vers l'aspiration de la pompe. Au bout d'un certain temps a force d'allers et venues en bottes souillées de margarine, le pont devient gras et glissant, une horreur. Le lavage d'une citerne dure des heures d'abord à l'eau chaude additionnée de détergent, puis à la vapeur, puis selon les besoins avec des produits chimiques : methanol, soude caustique, toluène, acide, acetone...Pour le Second Capitaine c'est vraiment un casse-tête, on nous a assigné un deuxième second pour la durée de l'escale, et ils travaillent en 6-6, 6 heures de travail, 6 heures de repos.
Après Vlaardingen il faut faire plusieurs postes à Botlek ou à Europort pour charger les produits chimiques. Cela implique donc des manœuvres de jour comme de nuit, où tout l'équipage est mobilisé. Après huit jours de ce régime tout le monde est fatigué et a hâte de reprendre la mer.

 

 

 

 

 

 


Pendant l'escale, reportage à bord par la télévision.


Je vais commander ce bateau pendant plusieurs années, dont je garde un magnifique souvenir. J'ai fait des tours du monde complet : Rotterdam - canal de Suez - Singapour - Philippines - Hong Kong - Japon - Pacifique - Canada et Californie - canal de Panama - USA golfe du Mexique et côte Est - Rotterdam.

Les Philippines
Les cuisiniers philippins m'ont toujours fait une cuisine agréable, un peu exotique mais européenne aussi bien. Leur plat de fête c'était le cochon de lait rôti, présenté toujours avec une pomme dans la gueule. Délicieux. Mais ils faisaient tout aussi bien le gigot à la française. Seuls bémols, impossible d'avoir une salade verte bien assaisonnée, et un poisson pas trop cuit.
Batangas est le seul port où nous faisions un peu de produits chimiques. Les autres étaient dédiés aux huiles végétales, coco et palme, à différents stades de raffinage. Le charme de ce port était la flottille de pirogues de pêcheurs. Le plus grandes avaient deux balanciers et utilisaient des filets importants, qui étaient ramandés sur la plage.
J'avais été séduit par une petite pirogue à une place que j'avais achetée contre un carton de bière. Le second avait suivi mon exemple et en avait acheté une lui aussi.
 
En promenade à terre l'accueil était très chaleureux

Nous avions fait un chargement d'huile de coco à Iligan. J'avais eu du mal à trouver sur la carte et m'étais fait confirmer la position par Stolt. En arrivant nous n'avions pas vu l'appontement et passé devant sans nous arrêter. L'agent local nous avait vu passer et appelés en VHF pour dire "C'est ici !". L'installation était réduite à un petit wharf, plus court que le bateau, et les amarres de bout étaient capelées sur des crocs parmi les cocotiers. Quelques épouses de l'équipage étaient à bord pour quelques jours, l'ambiance était très agréable. Pendant le chargement je m'étais baigné le long du bord, parmi les pirogues de curieux, dans une eau délicieuse. J'avais demandé à un des piroguiers pourquoi personne ne se baignait. Réponse laconique "too many sharks !" autant dire que j'étais remonté à bord en vitesse.

 
Le second et moi avions mis nos pirogues à l'eau et étions partis en balade à la voile, le long de la côte. Très jolie expérience, nous étions remontés un peu dans une rivière jusqu'à un hameau perdu dans la végétation. Un jeune garçon apportait des bananes sur un radeau. Un groupe était occupé à récolter le coprah et m'avait initié au travail.
Nous avions plusieurs animaux achetés par l'équipage, deux cochons, deux chevreaux, quelques poules et un chien. La plage arrière avait des allures de cour de ferme. Le dimanche le chef mécanicien se promenait avec un des cochons en laisse, l'autre suivait ainsi qu'un des chevreaux. Tout ce beau cheptel a fini dans nos assiettes. Le chien lui, appelé Bosco a vécu plusieurs années à bord. Mais lui aussi a failli être mangé en Corée, gros et gras il attisait la convoitise des autochtones.
Le chef avait installé une pomme de douche près de la piscine, très agréable. Avec un matelot je faisais de temps à autre le lavage à l'eau douce. Ma pirogue est là en cours d'entretien peinture.
L'Amérique du Sud
Buenaventura . La Colombie, coté Pacifique. Une ville sans grand intérêt sinon la possibilité d'aller aux halles faire nos achats de fruits et légumes. A cette époque je gérais directement la nourriture et les salaires de l'équipage. Quand c'était possible je faisais donc moi même les achats. J'étais souvent accompagné par mon copain chef mécanicien qui adorait ça. C'était amusant d'acheter mangues, ananas ou bananes par dizaines de kilos. Certaines rues avaient l'air de lits de torrents asséchés. En cas de pluie ça devait être abominable. Comme on voit j'affectionnais le style western !

Le passage du canal de Panama est une expérience intéressante. C'est un peu inquiétant au début l'entrée dans les écluses. On passe les premières amarres de bout à des lamaneurs dans de minuscules canots à rames. Elles sont capelées sur les crocs des locomotives à crémaillères, les mules. Nous prenions trois locos de chaque bord, deux à la'avant, une à l'arrière. Le pilote donnait ses instructions par VHF " All locos pull !" ou "N° 5 & 6 break!", et les locos accusaient réception par un coup de sifflet, et confirmaient par des feux sur le toit de leur cabine, rouge ou verts.
 
 
Dans le sens Pacifique - Atlantique on passe d'abord une paire d'écluses, Miraflores, puis un peu plus loin une troisième, Pedro Miguel. A l'autre bout du canal on sort par une "échelle" de trois écluses à Gatun. Le dénivelé de 26 mètres est impressionnant vu de la plus haute. Le passage est rapide puisqu'on garde les mêmes mules.
Une fois en sortant de Pedro Miguel le bateau a été en quelque sorte repoussé par le mur de gauche et a refusé le virage sur bâbord. Nous nous sommes échoués tout près de la terrasse d'un bar ! Les réactions ont été très rapides, un remorqueur était là en dix minutes et nous a sortis sans difficulté de ce mauvais pas. Nous avons continué le transit et j'ai fait inspecter les doubles fonds par le Second. Mais pour avoir le droit de sortir il a fallu exonérer officiellement le Canal de toute responsabilité.
Le canal est alimenté en eau par le vaste lac de Gatun. Nous profitions parfois de ce passage pour pomper quelques centaines de mètre-cubes d'eau propre pour les lavages.

A gauche le passage de "Gaillard Cut", la partie la plus étroite et qui fut la plus dure à creuser, coûtant la vie à de nombreux travailleurs.

A droite descente vers la mer des Antilles par l'échelle de Gatun.


Barranquilla. De nouveau la Colombie, mais coté mer des Antilles. Il n'y a pas de poste à quai, on mouille dans le rio Magdalena, à une dizaine de milles de l'embouchure. Il y a du courant en travers de la passe, ce qui oblige à engainer avec une bonne vitesse, disons 6 nœuds au moins. Un jour où il y avait trop de clapot pour que la pilotine sorte je suis rentré seul et le pilote m'attendait à l'intérieur. Mais il a un peu paniqué parce que je ne pouvais pas ralentir brutalement. Battre en arrière m'aurait fait faire une embardée. La pilotine était poussive et quand elle m'a rattrapé j'avais fait la moitié du chemin. Ce n'était pas sorcier, il fallait juste tenir le milieu.

Là encore gros marché, dans des halles importantes. Des jeunes gens proposaient leurs services comme porteurs, avec des chariots déguisés en camions. Les bananes vertes étaient stockées en grande quantité dans des petits entrepôts, et des employés dormaient dans des couchettes parmi les régimes. On se demande comment ils ne manquaient pas d'oxygène. Pour revenir à bord la vedette était bien chargée de nos achats.

Clandestins colombiens. Surprise désagréable en quittant Barranquilla. Une heure après la "Route libre" le bosco découvre des clandestins cachés à l'avant. En fait ils sortent de leur cachette, sachant qu'on a quitté la Colombie. Ils sont sept, tous des jeunes noirs, à peine vêtus, ils parlent mal anglais mais parviennent quand même à expliquer leur incroyable aventure. Ils ont embarqué à Buenaventura, en payant le vigile supposé les empêcher. Ils ont passé plusieurs jours dans le magasin à aussières sous le gaillard. Ils avaient réussi à se glisser sous le caillebotis où étaient rangées les amarres, et pourtant la hauteur était juste suffisante pour passer la tête. La nuit ils sortaient de leur cachette pour prendre l'air et de l'eau, ils avaient trouvé le robinet d'eau douce dans le magasin. Le prochain port était Houston, ils le savaient, c'est pour cela qu'ils avaient choisi notre bateau. Il a fallu prévenir tout le monde, armateur et agent, qui a alerté les autorités et préparé le rapatriement. On m'a donné comme consigne de les enfermer et de ne pas les laisser sortir avant l'arrivée à quai. Pas facile à faire, les cabines et autres locaux, même fermés à clé peuvent s'ouvrir de l'intérieur. En effet, quand nous arrivons quatre jours plus tard nous embarquons le pilote à Galveston, mais nous avons une quarantaine de milles de chenal pour arriver à Houston. Nous avons à peine franchi la passe qu'on me prévient que les clandestins s'échappent. L'un d'eux a sauté à l'eau et a déjà été récupéré par une embarcation. Rendez-vous ou coup de chance ? Je sors le fusil à pompe et tire deux cartouches en l'air pour intimidation. C'est efficace et les autres regagnent la cabine où ils avaient été enfermés. A l'arrivée, avant toute opération commerciale, il fallait que les clandestins soient pris en charge par une société agréée et aient quitté le navire. Un gigantesque gaillard, tout de noir vêtu, bardé de menottes, bombes de gaz, matraque, et un énorme colt sur la hanche, s'est présenté à mon bureau "Hi Cap, call me Shadow. I'll take care of your passengers". Il est tout de suite allé les fouiller, je trouvais ça inutile, eh bien l'un d'eux avait un couteau dans sa chaussure. Les six hommes ont été prestement menottés et embarqués dans un mini-bus, sous la garde de "Shadow" et de ses adjoints. Direction l'aéroport pour un vol direct vers Bogota, accompagnés par des gardiens armés. On ne plaisante pas aux USA, et j'aurais pu être sanctionné pour en avoir laissé un entrer sur le sol américain. Tout cela coûte bien sûr très cher, heureusement qu'il y a les P&I, mais on ne m'a pas félicité.
Belem . Brève escale pour décharger dans des barges.
J'ai surtout gardé le souvenir d'une végétation puissante, de la moiteur et des nuages de moustiques.

Aratu .

12°45' S - 38° 37' O

Ce terminal est au fond de la magnifique baie de Salvador de Bahia. Le séjour était surtout remarquable par le nombre de filles qui venaient à bord. La pilotine était suivie d'une grosse vedette qui transportait une escouade de passagères. Le pilote m'avait demandé mon accord pour qu'elles montent à bord, peut-être touchait-il sa petite commission ? J'avais accepté, sachant que si les filles n'étaient pas à bord, c'était les marins qui allaient à terre. Les choses se passaient beaucoup mieux comme ça pour tout le monde.

Lors de cette escale la coque était encore propre depuis le dernier carénage, mais j'avais profité des bonnes conditions pour faire faire de bonnes retouches.

 

Paranagua . Cette vaste rade abrite un port actif, fréquenté en particulier par des vraquiers. Le poste pour produits chimiques est un peu à l'écart.

Quand on attendait au mouillage je mettais à l'eau les pirogues, et les Philippins me les empruntaient pour aller à la pêche.

Je faisais aussi mettre à l'eau une embarcation pour des petites balades.

Cette expédition est un vraiment bon souvenir. On avait avait chargé la barcasse de fûts vides en plastique, et nous étions partis, avec ma femme et mon copain Chef faire un tour de ravitaillement. J'avais quelques dollars, mais la monnaie d'échange c'était les fûts vides, très appréciés pour stocker l'eau potable. Nous étions allés dans un petit village sur la côte nord de la rade, et acheté tout ce que la seule épicerie avait de produits frais, fruits, légumes, et même crevettes. Le marchand avait demandé qu'on ne prenne pas tout et qu'on en laisse un peu pour les habitués. En revenant vers le bateau nous nous étions arrétés pour aborder dans cette petite île isolée. Un ilôt de 320 m sur 30 qui comptait une seule maison. Nous hésitions un peu à aller à terre, mais l'habitant est arrivé en pirogue et nous avons fait connaissance. Il revenait de faire ses provisions lui aussi, en échange de sa pêche. On a pu communiquer avec un peu d'anglais, un peu d'espagnol, et beaucoup de gestes. On n'avait plus de fûts vides, mais je lui ai ait très plaisir avec un ciré neuf, veste et pantalon.

Ces grands arbres sont des avocatiers, ils étaient couverts de fruits et nous avons fait une bonne cueillette. La population était constituée de cette seule famille de tois enfants, qui semblait vivre pratiquement en autarcie grâce à quelques légumes et volailles, dans une maison très correcte..
Ils ne manquaient pas d'humour et la maison portait une plaque :
"N° 1264 Avenida Bolivar" !


Un pavillon original. J'en avais assez d'avoir toujours un pavillon sale, en lambeaux ou noir de suie. Alors j'avais demandé au Second d'en faire faire un de bonne taille en contreplaqué, hissé à poste fixe et bien tenu dans l'axe grâce à des haubans en nylon. Ce fut fait, à ma complète satistaction. Cela a donné lieu à des réflexions. Dans le chenal de Houston, nous étions vent arrière quand nous avons croisé un autre bateau. Son pilote a appelé le notre pour lui demander "Qu'est ce qu'il a le pavillon de ton bateau, il est gelé ?"

En escale à Santos cela avait déplu à des policiers, et ils étaient venus dans mon bureau faire une scène. Il était tard le soir, ils étaient un peu éméchés, et arboraient d'énormes colts à la ceinture. Je ne savais pas comment m'en débarrasser. Mais ma femme était à bord, et déjà couchée. Tout à coup elle a ouvert la porte, est apparue en robe de chambre, furieuse et leur a crié "C'est bientôt fini ce chahut ?". Eh bien avec ses 1,60 m et 50 k elle les a impressionés et ils ont filé.!


Buenos-Aires . L'escale de Buenos Aires était compliquée. D'abord l'accès n'est pas facile, le rio de la Plata est vaste mais peu profond. On prend un pilote à une bonne centaine de mlilles du port. Parfois on monte en deux temps, d'abord jusquà une zone d'attente au nord de La Plata. Là il faut parfois attendre des heures, sinon des jours, pour finir le parcours. Comme l'estuaire est très vaste et peu profond le vent a une grosse influence sur le niveau. Avec du vent d'Est pas de problème, mais si le vent d'Ouest s'établit, le niveau peut rapidement baisser de plusieurs pieds, et des navires se trouver bloqués au mouillage pendant plusieurs jours. Je n'ai pas eu le problème mais nous sommes montés en nous traînant partiquement sur le fond, de vase molle heureusement.
 
Ensuite pour entrer dans le bassin à chimiquiers il fallait entrer en marche arrière par un pertuis très étroit, et aller au fond d'un bassin ou gisait l'épave en trois morceaux d'un chimiquier explosé. Je dois dire que j'étais admiratif à chaque fois de l'adresse du pilote et des remorqueurs. Notre poste était trop court et nous ne pouvions pas vraiment nous accoster, mais nous amarrer en biais, et il n'était pas possible d'utiliser la coupée. On nous installait une échelle, genre grande échelle de pompiers, appuyé au pavois du gaillard. Quand ma femme allait à terre, en jupe, et enjambait le pavois pour descendre cette longue échelle, il y avait toujours du monde..
.Les Argentins étaient des gens agréables, un peu le style italien, pas très efficaces ni rigoureux, mais sympathiques et arrangeants.
Réparations à flot. Une prouesse technique réalisée grâce à un excellent Chef Mécanicien, Charles Le Guyader, et d'excellents ouvriers philippins.
A l'escale précédente, à Santos, j'avais constaté des fuites de coque. Nous avions pu éviter la catastrophe et temporiser. Mais il fallait réparer. La solution facile et évidente était de s'arrêter à Buenos Aires, après déchargement des produits chimiques, et de faire appel à un chantier. Mais Charles n'avait peur de rien, il savait que je le soutenais à fond, et nous avons décidé de faire la réparation par les moyens du bord, sans arrêter les opérations commerciales. Il fallait découper et remplacer deux tôles de belles dimensions, voir photos. On a approvisionné le matériel, tôle, baguettes de soudure et gaz pour les chalumeaux, et en route...
Après Buenos Aires nous devions remonter le Parana pour charger à San Lorenzo, quelques 250 milles en amont. Cela donnait un peu de temps, mais il ne fallait pas traîner. A peine le déchargement fini, les "fitters" étaient à l'œuvre pour découper les tôles à changer. Les matelots avaient préparé les tôles neuves sur le pont, prêtes à affaler en position. Le travail a été rondement mené, navire en route. Je pense, sans en avoir le souvenir, que les tôles découpées sont allées au fond. Pendant la découpe nous avons croisé des bateaux dont le pilote signalait "Attention vous crachez le feu à tribord avant !!!"....."Merci, on sait, pas de problème." En quelques heures les tôles neuves étaient positionnées et fixées. Belle manutention ! Il ne restait plus qu'à souder... plus qu'à ! Une soudure de coque ça demande plusieurs passes, et des deux cotés. Les soudeurs ont donc dû parfois œuvrer sur des échafauds, sur la coque, navire en route. Les Philippins ont fait ça sans problème, je dirais même avec le plaisir de faire un beau travail. Sans vouloir être mauvaise langue je peux assurer qu'avec un équipage français c'eut été impossible. Pendant ce temps là nous continuions la remontée du fleuve. Une réparation de coque doit être approuvée par la Société de Classification, nous avions donc rendez-vous avec des inspecteurs du BV au passage à Rosario. Là encore pas question de retarder le navire, ils ont embarqué en route, et leur vedette nous a suivi pendant qu'ils faisaient leur inspection. Satisfaits de la qualité des réparations ils les ont validées et le navire pouvait continuer l'exploitation sans remarque, avec des certificats en bon ordre.
Cette prouesse technique, qui a économisé beaucoup d'argent à l'armateur, nous a valu ... rien du tout ... pas un mot de compliment, pas un remerciement. J'ai pris sur moi de verser aux Philippins impliqués une prime, et j'en ai informé l'armement, sans réponse. Un peu décevant quand même!
       
Après déchargement des produits chimiques à Buenos Aires, on remontait le Parana très haut, jusqu'à San Lorenzo et même un peu au delà. On y chargeait des huiles végétales. Navigation longue, de jour uniquement, avec deux pilotes qui se relayaient. Un jour en arrivant au terminal, impossible d'accoster. On était échoué dans la vase et il manquait 20 ou 30 mètres à avancer, et une dizaine de mètres pour s'accoster. Le pilote annonce qu'il n'y a pas assez d'eau et qu'il faut annuler. Pas question ! Je lui répond qu'on n'est pas venu jusque là pour abandonner à 20 m du quai, et je prend la main. Fort de mon expérience à Donges je pense que la vase molle qui s'est accumulée quand le poste était inoccupé, sera chassée par le courant quand nous serons accostés. Je fais donc marche arrière, puis en avant toute pour gagner quelques mètres. Je recommence l'opération plusieurs fois, en donnant de la barre à droite toute, puis à gauche toute, pour élargir la souille.
Et ça marche, au bout d'une heure nous somme à hauteur du poste, encore écartés de quelques mètres. On vire sur six amarres à la fois et petit à petit on réussit à accoster. Victoire. Le pilote est ahuri et me croit complètement fou, il me rappelle qu'on vient pour charger, donc pour augmenter notre tirant d'eau. Il n'est pas convaincu quand je lui dit que le dragage va se faire tout seul. Heureusement j'avais raison et le lendemain quand nous terminons le chargement nous flottons et appareillons sans difficultés.
Pour repartir on emprunte un bras différent du fleuve pour les 100 derniers kilomètres, plus étroit mais en principe plus profond. Toujours pas de navigation de nuit, faute de balisage, et quand la nuit tombe on évite de 180° pour mouiller face au courant.
Ma cabine est devenue une véritable caverne d'Ali Baba avec tous les souvenirs achetés un peu partout. Les bagages vont être lourds !

Canaux latéraux de Patagonie . La navigation dans les canaux latéraux de Patagonie reste ma meilleure expérience de navigation. Quand j'avais 15 ans j'avais bavardé avec un vieux capitaine cap-hornier. Il m'avait parlé de façon passionnante de ces parages, je ne pensais pas y passer trente ans plus tard.
    
Passage par les canaux de Patagonie

Pour contourner l'Amérique du Sud, au lieu de doubler le cap Horn on peut avantageusement passer par le détroit de Magellan. Cela économise environ 200 milles, et surtout en période de mauvais temps cela évite d'affronter de grosses mers. Mais les navires de petite taille allant au Chili peuvent aussi se faufiler pendant 350 milles dans les canaux latéraux, pour rejoindre l'océan dans le golfe de Penas. Pour cette navigation on embarque, en passant Punta Arenas, deux pilotes chiliens qui restent à bord jusqu'au premier port. Les canaux forment un dédale qu'il faut connaitre, le balisage est rare, les passages parfois étroits. Les paysages sont sauvages et la forêt impénétrable descend jusqu'aux rivages. Les indigènes, les indiens alakalufs, qui vivaient nus sur des canots, ont disparu. Les derniers avaient été "civilisés" par les Chiliens, mais ne s'étaient pas adaptés. Jean Raspail a écrit un magnifique livre sur eux "Qui se souvient des hommes"


Par chance ma femme était du voyage
et pouvait apprécier son manteau de
renard acheté à Buenos Aires !
Le seul village sur le parcours s'appelle ironiquement Puerto Eden, on est bien loin du paradis ! Les pilotes correspondaient par VHF et pouvaient organiser un rendez-vous avec les pêcheurs. En arrivant on pouvait stopper tranquillement et des canots venaient le long du bord pour troquer leur pêche contre des fûts vides, et quelques conserves. Ils ont parfois de la langouste, mais je n'ai pas eu cette chance et il a fallu se contenter de moules et de poissons.

Santiago du Chili


Balade à Santiago

Grâce à l'agent j'avais eu accès au golf de Santiago,
très select, et prendre une leçon dans ce cadre magnifique.


Païta - Pérou.
Tout au nord du Pérou un port modeste, sauf pour la pêche, dans un environnement quasi désertique. Il y a toute une flottille de petits chalutiers ou senneurs, et une conserverie, qui empuantit tout le voisinage. Le Pacifique est poissoneux si j'en juge par ce bateau qui rentre avec son filet plein le long du bord, impossible sans doute de le hisser à bord.
On est amarré au bout d'un wharf qui ne donne aucune protection contre le ressac. Une catastrophe pour l'amarrage. Malgré cinq traversiers devant et autant derrière, nous cassons plusieurs amarres.
 
La ville semble avoir connu une époque florissante, on le voit à quelques bâtiments. Le siège de la sous-préfecture n'en fait pas partie !!!

Débarquement à Houston et voyage aux USA