ESCALE DU CARGO ADNAN N à Bayonne du 20 au 22 juillet 2022.

(Philippe Lauga)


Le ADNAN N est un cargo de divers, construit en 2006 par le chantier japonais Higaki à Imabari. La famille Higaki détient l’une des plus importantes entreprises de construction navale japonaises. Elle exploite plusieurs chantiers navals sur l’île de Shikoku, la plupart autour de la préfecture d'Ehime, dont celui d’Imabari, mais aussi à Hiroshima, sur l’île de Honshu et un autre chantier naval à Oita, sur l’île de Kyushu. Aux prouesses et innovations technologiques souvent complexes, les ingénieurs nippons privilégient plutôt les solutions classiques, éprouvées, basiques, archaïques parfois, mais les cargos et les vraquiers qui sortent des chantiers japonais sont reconnus pour leur fiabilité, leur robustesse et leur longévité. Ils sont de surcroît faciles à revendre sur le marché de l’occasion.
Esthétiquement, les cargos de facture japonaise comme le ADNAN N n’ont guère évolué depuis la fin des années 70. Avec leurs gréements, parfois composés d’antiques cornes de charge, ils offrent aux amateurs un petit côté rétro bien agréable à observer. Ces équipements de manutentions qui nous semblent aujourd’hui superflus à nous européens, sont encore très utiles lors des opérations de chargement et déchargement opérés dans les rivières du sud-est asiatique, à bord de barges qui viennent s’accoupler au cargo. Les compagnies turques et grecques équipent leurs flottes de quelques navires de ce type, achetés sur le marché de l’occasion pour desservir les nombreux ports méditerranéens ou de la Mer Noire encore sous-équipés en grues portuaires. C’est le cas du ADNAN N, un navire de 115,48 mètres de long mais d’un port en lourd de 11 776 tonnes, équipé de deux grues de 36 tonnes et d’une corne de charge de 30 tonnes. Avant d’être acheté en 2021 par la compagnie Ranmarine Denizcilik d’Istanbul, il s’appelait MARINE EMERALD et avait opéré jusqu’en 2011 pour la compagnie des Philippines Blue Marine Management Corp. puis pour la Franbo Sagacity SA. de Taïwan.

ADNAN N (Bridgetwon) - IMO 9334973 – 115,48 x 19,60 x 13,20 – TE 8,85 – JB 7 823 – TPL 11 776 – 2 grues de 36 t, une corne de 30 t
P 3 900 kW (MAN B&W 6L35MC) - V 14 nds
Constr. 2006 par Higaki, Imabari (Japon) - Propr Menas Trading, Gérant/Opér. Ranmarine (Turquie) - Pav BRB – Ex MARINE EMERALD (...2021)

 
Le mercredi 20 juillet, hélas sous la pluie, le ADNAN N arrive de Klaipeda, le principal port maritime lituanien, avec un chargement de 10 500 tonnes de soufre solide. Le produit est importé par la société ADISSEO-Bayonne, basée à Anglet sur la zone Blancpignon.
Amarrage tout en douceur quai Edouard Castel, avec l’appui du BALEA, le remorqueur du port de Bayonne.

Le soufre solide est fondu sur place à une température de 140° avant d’être acheminé ensuite vers différents sites industriels par la route ou le train. Le soufre est ensuite utilisé dans l’agrochimie, la viscose (textile, éponges, emballages alimentaires), le papier, le verre, le caoutchouc (fabrication de pneus), etc. Rappelons que le sous-sol du site béarnais de Lacq, le plus grand gisement de gaz naturel du pays, contenait d’immenses quantités de soufre gazeux, que l’on solidifiait par oxydation. Ce soufre était utilisé par des entreprises locales mais il était surtout acheminé jusqu’à Bayonne qui l’exportait par bateaux sous forme solide ou liquide. Depuis l’arrêt de la production, en 2013, le flux s’est inversé.

Le lendemain, sous un ciel azur, j’ai la chance d’être autorisé à monter sur la grue LIEBHERR LPS 420 (GR 21) utilisée pour vider les deux cales du cargo. Arrivée d’Allemagne le 11 avril 2018, cet outillage a une capacité de levage de 60 tonnes sous crochet. Je m’équipe comme il se doit et accompagné par Enaut (Arnaud en basque) je grimpe jusqu’à la cabine depuis laquelle Olivier, un joystick dans chaque main, descend le godet dans la cale avant puis le remonte, chargé de 12 tonnes de soufre.

 

 

600 tonnes heure environ. La grue est si efficace et rapide que la noria de camions et tracteurs qui se relaient sous la trémie est insuffisante et oblige le grutier à vider la majorité du produit sur le quai.
La cale est bientôt vide. Il est temps de charger à bord un petit bulldozer appelé chouleur qui se charge de reconstituer les tas de soufre pour faciliter le travail d’Olivier. En fin de manutention on utilisera le balai, la pelle et une benne qui sera, elle aussi, manipulée par la grue. Je ne resterai pas jusque là.

Je descend de l’impressionnante grue et me dirige vers la coupée du ADNAN N, puisque j’ai également reçu l’autorisation de visiter le navire, en compagnie de Do, la permanente du foyer des marins. L’équipage est 100 % turc.
Le commandant nous accueille dans le carré des officiers. Je visite d’abord la cuisine, où travaillent le chef et le steward, le carré de l’équipage. À bord, le confort et la décoration sont minimalistes.
Nous montons ensuite à la passerelle du navire, ses pupitres, ses écrans et sa petite barre, mode volant d’avion, sans oublier le fauteuil du commandant qui me fait penser à une chaise de bébé. Sur le pupitre, on reconnaît le chadburn et la commande moteur, qui est dupliquée en passerelle. Do et le pacha du navire posent sur l’aileron bâbord...
  ...tandis que je descend vers la salle des machines, guidé par un jeune mécanicien qui se prête au jeu du portrait photo dans le PC machine, accompagné d’un de ses collègues.  

Le navire est partiellement automatisé. Il est équipé d'un moteur principal 2 temps à 6 cylindres de type MAN B&W 6L35MC, fabriqué au Japon par Makita Corporation. Sur les 2 temps, pas de soupapes d'admission, juste des soupapes d'échappement et une pompe injection par cylindre. Les vannes de sectionnement semblent manuelles (séparateurs, ballastage, etc).

À gauche, on remarque le pupitre de commande, puis sur le moteur, les 6 pompes à injection coiffées par les 6 soupapes d’échappement. À droite, la turbosoufflante.
  La photo du parquet des culasses est prise en panoramique, d’où son aspect courbé. Sur la photo prise de dessus, on distingue nettement le gros collecteur d’échappement sur la gauche.

 
À l’étage d’en dessous, je n’ai pas assez de recul pour photographier les six portes de carter du moteur principal.
Seul le groupe électrogène principal est en marche. Et pourtant, le bruit est ssourdissant.
    
Groupe
 
Séparateur d'huile et séparateur d'eaux mazoutées

Pompes de ballast

Lorsque je débarque, la silhouette du ADNAN N disparaît presque totalement derrière la montagne de soufre qui s’est formée sur le quai.
Le lendemain, vendredi 22 juillet à 10h30, le ciel s’est de nouveau couvert pour l’appareillage du cargo, écarté de son quai avec l’aide du BALEA.

Pour terminer en beauté ce reportage, je suis invité par le pilote du port Georges S. à bord de la vedette AINHARA, manœuvrée par Philippe P, qui me permet de profiter de la sortie du cargo sous tous les angles possibles. Cap sur le port voisin basque de Pasajes pour charger des produits sidérurgiques puis retour en Turquie !

Merci à tous les professionnels du port de Bayonne de m’avoir permis de réaliser ce reportage, Freddy, Enaut, Olivier, Georges et Philippe et bien sûr à tout l’équipage du ADNAN N. Un clin d’œil à Erwan qui m’a aidé à identifier les différentes parties de la salle des machines.

 

Voici le ADNAN N en train de charger des profilés d'acier à Pasajes où il est resté du 22 au 27 juillet.
La photo est de Julián de Lucas.

 

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