La drague désagrégatrice D'ARTAGNAN, novembre 2014
Hervé Cozanet
    
La D'ARTAGNAN, une des dragues désagrégatrices les plus puissantes du monde, est une machine impressionnante, d'une magnifique efficacité. D'ailleurs c'est elle qui sera la pièce maitresse du dispositif mis en place par DEME Group pour le nouveau chantier d'agrandissement du canal de Suez. Nous l'avons vue plusieurs fois au travail sur ce site, cette fois-ci elle est venue à Brest pour un arrêt technique de préparation à sa prochaine mission. La D'ARTAGNAN est gérée par la filiale française de DEME, la Société de Dragage International, et elle est immatriculée à Marseille .

Photo Michel Floch
Caractéristiques principales 
  IMO 9312963
 
Tonnage brut / net :
8 082 / 2 424 ums
 
Longueur / largeur :
123,80 / 25,20
 
Creux / Tirant d'eau :
8,20 / 6,15
 
Motorisation :
2 Wartsilä 12V32, 2 x 6 000 kW
 
Puissance totale installée:
28 200 kW
  Propulsion 2 hélices à pas variable
 
Vitesse :
12,5 nds
  Construction 2005 IHC Holland Dredgers, Kinderdijk
  Pavillon France (RIF)
 
Caractéristiques complètes ici
 

Visiter un tel navire était un rêve que j'ai pu réaliser grâce à l'aimable autorisation de SDI. La D'Artagnan était dans la forme N° 2, quelques travaux d'entretien nécessitant une mise à sec, par exemple sur un gouvernail. Occasion de voir la coque très particulière, avec à l'avant l'élinde qui occupe environ un tiers de la largeur, à l'arrière les puits de mise en place des pieux.
Les flancs sont bien protégés pour l'accostage de barges venant charger
les déblais.
Je passe saluer le commandant Philippe Pauliac, qui est très occupé mais prend le temps de me guider jusqu'à la passerelle. La navigation n'est pas l'activité principale, juste un moyen de se rendre d'un chantier à un autre. Mais les trajets peuvent être longs, le marché est international. La D'Artagnan revient d'une mission à Yamal, au delà du cercle polaire, avec escale à Murmansk. La visite commence donc par cet endroit, qui est le centre opérationnel. C'est d'ici que sont dirigées la navigation, mais aussi les opérations de dragage. Le local est très vaste, avec vue panoramique, on y accède par un ilôt central. Un lieutenant s'affaire à préparer le "passage plan" Brest - Suez. Michel Fernandez Dugast, dit Miguel, un des deux "dredgers" me fait visiter et me donne toutes les explications voulues. Et il y en a, comprendre l'ensemble des opérations n'est pas immédiat. Heureusement Miguel aime passionnément son métier et n'est pas avare d'explications.
Les pupitres rassemblant les commandes concernant le dragage sont disposés en V, ouvert sur l'avant. L'opérateur se tient ainsi dans l'axe, avec vue directe sur l'élinde, et dispose de toutes les commandes, sous forme de joysticks, et écrans de contrôle, de chaque coté.
Les autres pupitres sont classiques, comme sur tout navire : navigation, communications, etc.

L'outil de coupe est une fraise munie de dents, qui tourne en détruisant le matériau à draguer.
Les hommes qui passent près de celle posée sur le pont donnent une idée de la dimension. Ce que l'on voit en détail ce sont les emplacements où sont fixées les dents. On utilise des modèles différents suivant la nature du sol, et on peut les changer rapidement quand elles sont usées ou cassées.
La fraise est fixée au bout de l'élinde, qui comporte une bouche d'aspiration reliée à des pompes centrifuges. Les multiples trous servent au refroidissement. Un portique et d'énormes réas servent à immerger ses 1 200 tonnes à la profondeur de travail. Une plate-forme en U permet de travailler sur la fraise, pour la changer ou remplacer des dents.
La fraise est entrainée en rotation par deux moteurs électriques et un réducteur. Les moteurs ont été protégés par des bâches pendant les travaux. Le materiau coupé est aspiré au fur et à mesure et refoulé vers l'arrière.

La drague est munie de deux pieux de positionnement. Le pieu principal est situé dans l'axe, et monté sur un chariot qui permet une translation longitudinale de huit mètres. Le deuxième, légèrement décalé, a un emplacement fixe. Les deux pieux sont vus ici en position de mer. Pour se mettre au travail il faut d'abord les redresser à la verticale au moyen de vérins hydrauliques, puis les fixer à des câbles pour les mettre en position verticalement au moyen de treuils.

 

 
   
Chariot du pieu principal : en poussant sur ce vérin
la drague avance à chaque passe de coupe.
Une fois en position le pieu axial est seul enfoncé, l'élinde est descendue au contact du fond, et la fraise peut commencer à forer. Elle va le faire suivant un arc de cercle, de 160 m de large, grâce aux ancres de papillonage.
Les ancres de papillonage, une de chaque bord, sont mises à l'eau au moyen de grands mâts de charge. Chacune pèse 27 tonnes et peut être lestée d'un poids supplémentaire de 10, 20 ou 30 tonnes. Par gravité, les mâts se mettent d'eux mêmes à 90° de l'axe. Quand la fraise tourne, on vire sur une ancre et dévire simultanément sur l'autre, pour faire décrire un arc de cercle à l'outil. Après chaque passe, la drague avance en poussant sur le pieu axial. Quand on arrive au bout des huit mètres permis par le chariot, le deuxième pieu est mis en service, et on relève le pieu principal pour remettre le chariot en position initiale. Ensuite on le remet en service et le pieu auxilaire est remonté. Une petite animation sur Youtube montre bien le fonctionnement, dont il est difficile de rendre compte autrement.


Les déblais sont refoulés vers l'arrière dans un tuyautage de 1 000 mm de diamètre, par une pompe de 3 400 kW . Ils peuvent être déchargés de chaque bord dans des barges par deux tuyautages en T. En photo, opération au Qatar en 2005. Sinon la drague peut aussi refouler par l'arrière, parfois à de grandes distances. Des flexibles sont alors connectés à la bouche de refoulement arrière.
Ce sont alors deux grosses pompes centrifuges, entrainées chacune par un moteur diesel de 6 000 KW, qui entrent en action. Une ou deux pompes sont utilisées suivant la distance de refoulement. La pression de refoulement peut atteindre 30 bars, quand il faut refouler très loin.

La grue est un auxiliaire très actif de beaucoup de travaux. Elle se déplace sur des rails, sur toute la longueur, en enjambant le château.

Machines. Tous les équipements liés au dragage sont lourds et puissants.

Il faut donc une grosse production d'énergie électrique. La puissance installée totalise 28 000 kW. Elle est fournie essentiellemnt par quatre moteurs Wartsila de 6 000 kW chacun, et deux auxiliaires Caterpillar de 1 000 kW. Deux des Wartsila entraînent chacun un arbre porte-hélice. L'un d'entre eux entraîne de plus un alternateur, l'autre la pompe de dragage. Les deux autres sont uniquement electrogènes.
L'électricité produite sous 6 600 V est réduite par des convertisseurs en différents voltages suivant les consommateurs.
  Le reste des installations, séparateurs, réfrigérants, compresseurs divers, n'est pas spécifique à une drague. L'ensemble est d'une propreté remarquable, signe de bonne santé !
L'atelier est bien équipé. Un tourneur
est en train de façonner une pièce.
Ici on compte d'abord sur les ressources du bord pour réparer. Il faut faire vite.

Je n'ai pas voulu gêner en visitant les locaux d'habitation. Mais j'ai quand même fait un tour à la cuisine où l'on s'affairait dans la bonne humeur. Il était pas loin de midi et le cuisinier m'a gentiment invité à déjeuner, mais je n'ai pas voulu abuser de la situation. Pourtant c'était apétissant !

Le 10 novembre les travaux sont terminés et la D'Artagnan est prête au départ.
Bonne navigation, jusqu'à Suez !