Le pinardier MATER DEI en 1963
(Jean-François De Bie)
sommaire
1957 Le STEREDEN VOR est construit par Ottensener Eisenwerk à Hambourg pour l’armement Salahun, Hacquard & Consorts de Quimper, puis renommé MATER DEI
1975 renommé CONDOR par Condor Shipping Co. Chypre
1978 sans changement de nom, acheté par Lofos Shipping Co. A Giarka Marine Co. Toujours Chypre

On trouve dans Marine News Octobre 1989 dans la rubrique Casualties une photo de ce navire avec la mention « The Greek CONDOR 99/57 m.v. lying in Piraeus Roas 14/07/89 with a fire in her hold mais plus de mention dans les éditions suivantes?

Au temps de mon embarquement il etait très récent, ayant été construit comme caboteur sec et transformé en pinardier par la construction de citernes en abord et entre les panneaux de cales qui étaient munis de grandes citernes amovibles, ce qui explique les mâts de charge.
En 1963, tout au début de ma carrière maritime, j'ai embarqué à bord comme pilotin/matelot léger pour plusieurs voyages entre Quimper (Le Corniguel) et Sète - Port la Nouvelle - Mohammedia. C'était un beau petit bateau, solide, impeccablement tenu et avec une excellente ambiance. Ce premier embarquement m'a certainement conforté dans ma résolution à "naviguer au commerce" et j'en garde encore un merveilleux souvenir après toutes ces années.

Photos au mouillage dans l'anse de Penfoul près de Bénodet avant de remonter a Quimper. On peut distinguer le long du bord les allèges dans lesquelles était déchargée une partie de la cargaison pour réduire le tirant d'eau afin de pouvoir remonter jusqu'aux chais du Corniguel. Les allèges étaient ensuite remorquées jusqu'au Corniguel par les sabliers de l' Odet.

Chargement à Sète, parfois complété à Port-la-Nouvelle, par pipeline depuis les chais (pipe surnommé bien sûr "vinoduc") mais aussi par camions citernes. Le bateau avait au total une quarantaine de cuves de dimensions variées: casse-tête pour le Second Capitaine pour utiliser au mieux les volumes en fonction des lots à charger. Il n'y avait pas de moyens de pompage fixes, tout le déchargement se faisant par pompes mobiles.

Les cuves étaient bien entendu nettoyées (et rincées à l'eau douce en mer) par l'équipage qui faisait aussi les raccords d'enduit nécessaires .

Appareillage, croisant le "Catherine Schiaffino".... un peu de vent près des Baléares.....soir de grand calme...

en Méditerranée avec quelques navires de rencontre
Pas de radar, les aides à la navigation se réduisaient à un gonio à cadre rotatif et à un sondeur ultrason Plath sans enregistreur (avec une étincelle pour indiquer la profondeur) et bien sur chromomètre et sextant. Communications intérieures strictement par tube acoustique (passerelle/commandant, passerelle/machine, machine/Chef Mécanicien).Vues de la barre et du compas magnétique de route et du compas de relèvement sur la passerelle supérieure. Ces compas étaient l'objet de beaucoup de soin et de contrôle (variation à chaque quart etc.) car le bateau n'avait pas de gyro-compas et pas de pilote automatique. Il y avait deux matelots par quart, deux heures de barre chacun par quart. Il fallait monter sur la passerelle supérieure pour prendre un relèvement et se servir du tube acoustique ....
Pour la machine pas d'automatisation ni de contrôle à distance: chadburn et un homme de quart en bas.

la cuisine
Heureux temps !. Pour un navire d'environ 65 m de long et 1.600 tpl armé au cabotage international, un équipage de 16 marins

1 Commandant 1 Second Capitaine 1 Chef Mécanicien
1 Lieutenant 1 Second Mécanicien
1 Troisième Mécanicien
1 Cambusier - Maître d'Hôtel 1 Maître d'Equipage 1 Graisseur
1 Cuisinier 5 Matelots
1 Novice
Recrutement local dans les quartiers du Guilvinec, d'Audierne et de Douarnenez avec deux groupes principaux; Penmarch' et la Pointe du Raz origine respective du Chef Mécanicien et du Second Capitaine (le Commandant était un petit peu un outsider).
Dans l'ensemble des gens compétents et dévoués à l'armement.

Note : A bord, le breton était plus parlé que le français !
     
Bien sûr il fallait compter sur l'atavisme de l'équipage!

L'été dans le golfe de Gascogne des tangons étaient gréés sur l'arrière (en se servant des bossoirs d'embarcations) avec des lignes a thons. Le gréement de ces quelques lignes faisait d'ailleurs l'objet de discussions sans fin entre les gens de Penmarch' et ceux du cap étant bien entendu que la méthode des uns pour gréer les hameçons était bien supérieure et plus "pêchante" que la méthode des autres.

La vitesse, environ 10 nœuds était un peu élevée pour la pêche mais la passerelle exerçait une veille attentive et quand signes de thon étaient vus, la route et la vitesse étaient ajustées en conséquence.

Comme le montrent les photos, la pêche était bonne. Ce qui n'était pas consommé à bord était gardé dans la chambre froide et servait éventuellement de monnaie d'échange et était ramené à la maison au retour a Quimper.
La vitesse maximum du Mater Dei, c'est à dire par beau temps et tout dessus était d'environ 10 noeuds, normale pour un navire de ce type à cette époque. Même 10 noeuds c'est un peu rapide pour le thon mais les bancs de thons (germons) viennent en surface et peuvent être repérés à certains signes: clapots, décoloration de l'eau, oiseaux. L'officier de quart veillait attentivement dans les parages où on peut espérer rencontrer des bancs de thons, souvent marqués aussi par la présence de thoniers français ou espagnols. En cas d'indices révélateurs il changeait de route pour passer sur le banc, actionnait le chadburn avec un code convenu pour réduire l'allure à 4 ou 5 nœuds et bien sûr faisait le branle-bas. Aussi sur ce bateau on était près de l'eau.

J'avoue que ce n'est pas très réglementaire (surtout quand quelques ajustements devaient être faits sur le journal de bord pour expliquer ou camoufler une vitesse moyenne journalière un peu basse....) mais ça n'arrivait que pour une courte période, deux jours maximum par traversée au début de l'été dans le golfe de Gascogne. De toute façon on ne peut pas grand chose contre l'atavisme d'un équipage recrute presque complètement dans les communautés de marins pêcheurs de Penmarch et d' Audierne !

De toutes façons même si ce n'était pas la seule entorse aux lois et règlements en vigueur, c'étaient tous de brave gens, il travaillaient dur, ça fait des souvenirs merveilleux et.... il y a sûrement prescription .....

C'est malheureusement le seul navire de commerce où j'ai pratiqué la pêche en route de cette façon, aux Chargeurs Réunis et ailleurs les bateaux allaient trop vite et on ne ralentissait pas pour le poisson. Après toutes ces années je me dis qu' on avait peu être tort ?
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