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De passage pour quelques jours à San Francisco au début juin 2008, je ne pouvais faire autrement que d'aller visiter le JEREMIAH O'BRIEN. C'est en effet l'un des deux seuls Liberty Ships dans le monde encore en état de naviguer et le seul restauré exactement dans son état d'origine. Ce fut l'un des 5 000 navires qui participèrent au "Débarquement de juin 1944" sur nos côtes normandes. Ce fut le seul grand navire allié survivant qui put revenir sur les lieux, en juin 1994, pour les cérémonies du cinquantième anniversaire. |
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Le voici quittant pour la dernière fois Le Havre, le 22 août 1994, après une tournée mémorable en Manche à l'occasion des cérémonies du cinquantenaire du Débarquement. Photo prise par Jean-Yves Brouard depuis les hauts de l'ABEILLE 7 qui l'avait sorti du port, puis accompagné un peu. Cette photo doit figurer parmi les toutes dernières faites de ce Liberty Ship dans les eaux françaises. Emouvant...
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Quelques photos officielles du 50e anniversaire ici. |
Cet authentique et poignant témoin de la Libération de la France a été baptisé de ce nom le 19 juin 1943 en hommage à Jeremiah O'Brien, premier commandant de la marine insurgée ayant engagé le combat contre un navire de guerre anglais en 1775, dès le début de la Guerre d'Indépendance américaine (1775-1783). Il est devenu un musée géré par le National Liberty Ship Memorial et est amarré au Pier 45 du
Fisherman's Wharf, à San Francisco (Californie) comme on le voit ci-dessous. |
Totalement restauré entre 1979 et 1990, il est en permanence entretenu par un groupe de 300 volontaires passionnés appartenant à plusieurs générations (belle continuité...). |
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On trouve ainsi, au niveau du pont inférieur et de l'avant vers l'arrière, le peak avant (ballast d'eau de mer), trois cales (1,2 et 3), puis le compartiment moteur comprenant les deux chaudières et la machine à vapeur, avec les caisses de décantation journalières du mazout. Derrière la machine, on trouve évidemment la ligne d'arbre d'hélice dans son tunnel (d'environ 50 m de long) à l'extrémité duquel la chambre de tunnel comporte une sortie de secours (verticale). A l'arrière du château, et donc au-dessus du tunnel, se trouvent deux autres cales (4 et 5). Enfin, tout à l'arrière, se trouve le local de l'appareil à gouverner. La capacité totale des cales est de l'ordre de 15 850 m3. |
Sur le pont supérieur, sont montées diverses plateformes sur lesquelles sont installés des canons (un canon de 75 mm à l'avant, un de 125 à l'arrière et 8 de 20 autour du château et sur les côtés) |
Le Liberty Ship est équipé de trois mâts de charge, chacun sur une maison-mât. Ces mâts
comportent deux cornes de charge de 5 t par cale, plus une bigue de 50 t sur la cale 2 et une de 15 t sur la cale 4.
Ils sont mus par des treuils à vapeur. |
Quelques gros plans sur les treuils à vapeur et les guindeaux, également à vapeur |
Et, le Liberty vu de tribord cette fois-ci. Gros plan (supra et infra) sur la batterie de proue avec son canon de 75 mm.
Sous le pont des batteries se trouvaient les logements des fusiliers marins. |
Avant de visiter l'intérieur du JEREMIAH O'BRIEN, revenons sur cette fabuleuse aventure que fut la construction des Liberty Ships. Je commencerai par citer le Commandant Arbeille embarqué comme premier lieutenant sur le GRANVILLE (ex JOSEPH J. KINYOUN lancé à Richmond en 1944) alors — on est en novembre 1949 — affrété par la Compagnie Havraise Péninsulaire : Quel bel hommage ! Dès 1936, les Américains avaient décidé de renouveler leur flotte (Merchant Maritime Act), avec la construction de cargos C1, C2 et C3, mais c'est à la demande des Anglais (British Merchant Shipbuilding Mission, septembre 1940), lesquels avaient déjà perdu 150 navires (plus de 1 Mt) pendant les seuls neuf premiers mois de la guerre, que les Etats-Unis se lancent dans la construction massive de navires. Et d'abord ceux de la classe OCEAN, navire "basique" dérivé du DORINGTON COURT (10 000 tpl - 2 500 ch - 10 nds - machine à vapeur alternative avec chaudière à tubes de fumée et chauffée au charbon) construit en 1938 par les Chantiers anglais J.L. Thompson & Sons (Sunderland). Entre temps, en Europe, la guerre s'est intensifiée et les Américains, bien qu'encore non engagés dans le conflit, se rendent compte qu'ils doivent développer leur propre puissance maritime, ne serait-ce que pour pouvoir contrôler leur commerce. C'est ainsi que naît l'EC2-S-C1, hybride (selon les instructions des architectes navals Gibbs et Cox de l'US Maritime Commission) entre le C2 et l'OCEAN (E = Emergency - C = Cargo - 2 = 400 à 450 pieds de long selon la codification de l'USMC - S = Steam propulsion - C1 = type de design). C'est de lui que le Président Roosevelt dira (à l'Amiral E.S. Land — Président de l'USMC — venu lui présenter le projet début 1941) : "Je pense que ce bateau nous ira parfaitement. Evidemment, il n'est pas bien beau..., un vilain petit canard". Ce n'est que plus tard que ce "vilain petit canard" prendra le nom de Liberty ship. Et c'est précisément le Président Roosevelt lui-même qui donna au premier navire de la série, le PATRICK HENRY, le nom de "Liberty ship", lors de son lancement à Baltimore le 27 septembre 1941, jour déclaré "Liberty Fleet Day" par l'Amiral Land ; ce surnom lui est resté et est devenu le nom générique des quelque 2 750 navires de la série. Trois semaines plus tard, le 15 octobre 1941, le premier "British Ocean", sortait des chantiers américains : c'était l'OCEAN VANGUARD (soixante navires de la classe "Ocean" seront construits aux Etats-Unis et livrés aux Anglais). C'est ainsi que 200 navires sont mis en chantier dès 1941. Et, avec l'entrée en guerre des Etats-Unis après l'attaque surprise de Pearl Harbor (le 7 décembre 1941), la construction va encore s'intensifier : deux nouveaux Liberty Ships seront lancés chaque jour. La grande révolution de cette production de masse a été la construction modulaire (fabrication à terre de "sections" pré-équipées et leur assemblage au chantier grâce à l'adoption du procédé de soudure et à l'amélioration des moyens de levage), initiée par le génial industriel Henry J. Kaiser, et la rationalisation des méthodes de travail (les prémices de la méthode PERT en quelque sorte).
La coque de base (plusieurs variantes seront déclinées par la suite) comprend trois "blocs" principaux : une partie centrale comprenant le château, la partie avant (la proue) et la partie arrière (la poupe). Ce navire comporte, comme on l'a vu plus haut, cinq cales (trois à l'avant, deux à l'arrière) et ses propres mâts de charge (cf. plan ci-dessus). Propulsion par machine à vapeur et une seule hélice. Plus beaucoup de rivetage, mais la soudure généralisée (80 km de soudure pour un Liberty... 1 500 km pour le Queen Mary II). La simplicité des formes de l'EC2-S-C1 facilitait d'ailleurs grandement les opérations de soudure. |
Le schéma ci-contre montre la technique innovante pour l'époque de construction "modulaire". 1 et 2. Bordés – 3. Pavois – 4. Superstructure préfabriquée en quatre éléments – 5 et 6. Canons – 7. Entourage du mât - 8. Pont principal - 9. Mâts de charge - 10. Canon de 75 - 11. Avant préfabriqué en deux éléments - 13. Bordé - 14. Sections de bordés préfabriquées - 15. Cloisons - 16. Ventilateurs - 17. Réservoirs d'eau - 18. Deuxième pont et cabines - 19. Chaudières - 20. Fond préfabriqué en sections - 21 et 22. Carlingage - 23. Machine à trois cylindres - 24. Arbre d'hélice - 25 et 26. Sections préfabriquées - 27. Gouvernail en deux pièces - 28. Canon de 125 - 29. Canons anti-aériens – 30. Treuils - 31. Arrière préfabriqué en trois éléments. Schéma publié par Jean-Yves Brouard dans son ouvrage "Les Liberty ships" et reproduit ici avec son autorisation |
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Les parties de cargos, pré-équipées, sont fabriquées à terre et seul leur assemblage est réalisé dans les chantiers. | |
Le Liberty ship... le modèle de navire le plus produit au monde jusqu'à aujourd'hui : officiellement 2 751 navires du même type lancés en trois ans et demi ! Le temps moyen de construction était autour d'un mois et demi, mais certains ont été construits en 15 jours... sans compter le ROBERT E. PEARY lancé en moins de 5 j, mais c'est un cas particulier. Il y avait une très forte émulation entre les divers chantiers navals. Mais ce qui fut une force au début aboutit, finalement, à une baisse de qualité évidemment inacceptable. C'est pour contrer cette tendance que le gouvernement américain a poussé à la construction ultra rapide et du coup inégalable pour les autres navires en construction, une façon de mettre fin à cette folle course... Le JEREMIAH O'BRIEN fut construit au chantier New England Shipbuilding Co. à South Portland (Maine). Sa quille fut posée le 6 mai 1943. Il fut lancé le 19 juin 1943 pour le compte de la Compagnie Grace Line. (qui géra une vingtaine de Liberty ships). Le 26 juin, ses moteurs étaient installés et prêts pour les premiers essais (29 et 30 juin). Sa construction avait duré 56 jours. Son voyage inaugural (Captain Southerland - Chief Engineer Montgomery) eut lieu du 10 juillet au 11 septembre 1943, entre Portland puis Boston et Londres, avec retour sur New York. Avec son chargement d'acier et de céréales, il faisait partie d'un convoi de 73 navires marchands escortés par 10 navires de guerre. Par la suite, il fit deux voyages transatlantiques : New York - Liverpool - New York (11.09 au 03.11.1943) et New York - Ecosse - New York (19.11.1943 au 24.03.1944). Entre le 25 mars et le 12 octobre 1944, il participa activement au Débarquement de Normandie (Capt. de Smedt) — Opération Overlord — en faisant de nombreuses navettes entre l'Angleterre (Southampton) et les côtes normandes (Omaha Beach et Utah Beach) pour transporter troupes et matériels. |
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Après la guerre, probablement un peu plus de 200 Liberty Ships manquaient à l'appel (les chiffres varient entre 200 et 400 selon les sources), coulés durant le conflit, dont une cinquantaine lors de leur premier et unique voyage. Quelques-uns ont cassé en mer ou même à quai car les premiers avaient une faiblesse structurelle (suite à des ruptures fragiles qui se développaient dans des aciers de ténacité insuffisante à basse température ou au niveau de soudures de mauvaise qualité), problème qui fut par la suite résolu par un ceinturage de la coque (je crois que des "crack-arrestors" furent aussi installés en certains points sensibles pour arrêter la propagation des criques). Nous reviendrons sur son "histoire" post-conflit, mais poursuivons d'abord notre visite du navire. |
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