Le nouveau câblier d'Orange Marine, «PIERRE DE FERMAT»
Hervé Cozanet - 28 oct 2014
    
Le dernier né de la flotte d'Orange Marine a été mis en service, et a rejoint Brest le 29 0ctobre. Il a été construit essentiellement en Roumanie, à Braila, à quelques 250 km de la mer Noire. Puis il a été remorqué jusqu'à Brattvaag, en Norvège, où le chantier Vard a installé les machines à câbles, l'informatique, mis en service les générateurs et fait les aménagements intérieurs. Après des essais satisfaisants au large de la Norvège il a rejoint Brest qui sera son port d'attache pour le moment. Il est affecté, comme son prédécesseur à la maintenance des câbles de la zone Atlantique et Europe du Nord. Mais il est apte tout aussi bien à la pose de nouveaux câbles, de communication ou de transport d'énergie. Sa silhouette est caractéristique des chantiers norvégiens spécialisés dans l'off-shore. Il bénéficie d'une étrave curieuse, inventée en 2013 par le chantier, qui s'appelait encore STX. Le brevet déposé en 2013 porte précisément sur l'indentation entre la partie supérieure de l'étrave et le bulbe. Innovation paraît-il très intéressante, une réponse aussi à l'étrave X-bow inventée par le concurrent Ulstein en 2005 qui a un gros succès.

Caractéristiques principales 
  IMO 9694505
  Tonnage brut / net : 8 488 / 2 546 ums
  Longueur x largeur : 100,10 x 21,50 m
  Creux x Tirant d'eau : 8,80 x 7,10 m
  Motorisation : 4 Caterpillar mer et 1 port
  Puissance totale installée: 9 715 kW
  Propulsion : 2 propulseurs azimutaux
  Vitesse : 12 nds
  Propulseurs avant 2 tunnels, 1 azimutal rétractable
  Construction 2014 par Vard Braila (Norvège)
  Pavillon RIF
  Caractéristiques complètes ici
La flotte d'Orange Marine compte actuellement six navires, dont deux gérés par sa filiale Elletra, et trois sous pavillon français : Croze, Descartes et de Fermat.

Léon Thévenin
1983

Raymond Croze
1983

Antonio Meucci
1988

Teliri
1996

René Descartes
2002

Le navire a été présenté à la presse le 7 novembre dans le cinquième bassin. En passant près de l'étrave je me suis souvenu d'un dessin d'enfant que nous avions primé lors d'un concours. Le jeune artiste avait-il une vision prémonitoire ? Pas de davier à l'avant, cela ne se fait plus depuis pas mal d'années. A L'arrière un robuste portique de 40 tonnes qui sert à lever la charrue d'ensouillage, qui ne se trouve pas à bord, mais serait utilisée pour enterrer un nouveau câble, d'où sa CMU de 40 tonnes. Innovation sur ce navire, le portique sert également à mettre à l'eau les engins tels que tracteurs, dragues... car il comporte un treuil.
Les visiteurs étaient accueillis par le président d'Orange Marine, monsieur Raynald Leconte, et par le commandant Cristelle Palpacuer. Cette dernière a suivi la construction depuis la pose de la première tôle ! Aux cotés de M. Leconte, de gauche à droite Yannick Le Bris (photos de navires.com), Gérard Le Brigand (Le Télégramme) et Jacques Carney (Ouest France) .
La passerelle est vaste et panoramique, dotée de tous les appareils modernes de navigation et de communication, et des commandes machines. Particularité commune aux navires travaillant sur leur arrière le poste de commandes le plus complet fait face à l'arrière. Il comporte en particulier les commandes du positionnement dynamique. Cet élément est essentiel, un câblier doit être capable de maintenir une position très précise même par mauvais temps. Pour cela il dispose des deux propulseurs azimutaux de propulsion, et de deux propulseurs d'étrave en tunnel, plus un azimutal rétractable. Le navire peut ainsi faire une rotation complète sur place, et il peut aussi stopper sur une longueur quand il est lancé à 15 nds, ce qui est une performance exceptionnelle.
Le poste avant n'est dédié qu'à la navigation et au positionnement dynamique. A noter que le navire est habilité à naviguer avec des cartes électroniques, même s'il doit posséder des cartes papier à bord. Chaque aileron de passerelle dispose aussi d'un poste de commande pour les manœuvres de port. Les propulseurs sont commandés par ces boules dont l'orientation définit celle du propulseur, tandis qu'un petit levier règle la puissance.

On  répare des câbles plus souvent qu'on en pose des nouveaux. Et on n'imagine pas très bien comment se passent les réparations, Thomas Quéhec nous donne ici une explication succincte :

Quand un défaut est déclaré sur un câble, les stations terrestres se trouvant aux extrémités du câble envoient un signal pour déterminer la localisation exacte du défaut. Dans certains cas, le défaut n'est pas précisément localisé par les stations. Elles alimentent alors le câble avec un courant basse fréquence et le navire suit le tracé du câble en remorquant un petit "sonar" qui capte ces signaux. Pour simplifier : lorsque le signal est perdu, le défaut est là.
Débute alors l'opération de réparation. Selon l'endroit, la nature du sol, présence de plusieurs câbles ou de roches, le ROV sera parfois utilisé pour couper et accrocher le câble. Dans la majeure partie des cas, le navire va effectuer plusieurs dragages.
Voici le schéma "type", qui peut beaucoup varier selon les cas : une première drague dite "drague coupante" est effectuée, pour couper nettement le câble en deux parties.
Une seconde drague dite "drague relevante" est effectuée, pour accrocher le câble et le remonter à bord. Ces dragues sont effectuées au moyen de grappins, de "tracteurs" ou encore de "rouillards", qui sont des engins équipés d'une grande dent creusant à plusieurs dizaines de centimètres sous le sable dans le cas d'un câble ensouillé. La première extrémité du câble est donc relevée à bord. Le câble est alors éclairci, nettoyé et bouchonné. Il est relié à une grosse bouée, puis remis à l'eau, suspendu sous la bouée. Un troisième dragage est alors effectué, "drague relevante" à nouveau, pour ramener à bord la seconde extrémité du câble.
On y soude alors un morceau de câble neuf. La soudure est effectuée fibre par fibre, puis l'extérieur du câble est ré-encordé. C'est l'épissure initiale. Le navire se déplace alors en posant ce morceau de câble neuf, jusqu'à récupérer la bouée et l'autre extrémité du câble. Les deux câbles sont soudés à bord, c'est l'épissure finale. Enfin, ce morceau de câble neuf sera reposé sur le fond en formant une petite boucle, c'est la "pose de la boucle finale". Si nécessaire, le ROV sera mis à la mer pour inspecter la boucle, et ensouiller le câble à plusieurs dizaines de centimètres sous le sol.

Le Pierre de Fermat dispose d'un ROV Simec, modèle Hector 7. Il est à l'abri dans un hangar à bâbord, un niveau sous la passerelle. Le ROV (Remotely Operated Vehicle) est mis à l'eau au bout d'un câble composite portant la charge, mais aussi l'énergie électrique, les commandes et informations. L'engin peut travailler jusqu'à 3 000 m de fond et dispose de plusieurs outils, des bras munis de pinces, des jets d'eau pour creuser une tranchée, un détecteur de câble... Pour le maintenir au fond il est équipé de propulseurs verticaux, et peut se déplacer sur ses chenilles grâce à des propulseurs horizontaux, à une vitesse de 2 500 m/h.
Tout cela est piloté par un opérateur à partir d'un poste muni d'une dalle d'écrans permettant d'afficher de nombreux écrans différents. Les commandes sont regroupées sous forme de joystick et de curseurs. M. Bernard Louisin, pilote du ROV, est aux manettes.
Le pont principal est un vaste hangar de travail, ouvrant sur la plage arrière et le davier de mise à l'eau. De chaque coté se trouvent des locaux de travail et des racks de stockage des répéteurs. Ces appareils doivent être insérés tous les 50 ou 100 km pour renforcer le signal. Des petits appareils à 1 million d'euros pièce !
Les goulottes d'accès aux cales et les machines de traction sont dans l'axe. Le câble est hissé par un treuil mini d'un tambour de grand diamètre, et une machine à pneus le coince pour maintenir la tension. Le navire peut stocker 2 300 tonnes de câble, répartis dans trois cuves cylindriques. Le diamètre et le poids des câbles est variable, mais cela peut représenter jusqu'à 2 500 km. Les câbles sont lovés à la main avec soin, pour éviter toute déformation, l'opération prend plusieurs jours.
Si le navire est affecté à la pose de câbles électriques il faudra installer un carrousel pour les lover, ils sont beaucoup trop lourds pour être manipulés.
   
Le treuil de remorque 65 T qui sert à tracter la charrue.
Pour réparer un câble il faut d'abord le repêcher. Pour cela on traîne sur le fond différents outils, choisis selon la taille du câble et la nature du fond. Ils sont ici en panoplie et ont un aspect presque moyenâgeux !
Les différents grappins
Les grosses bouées jaunes, sur le pont au dessus du pont principal, servent à soutenir l'extrémité d'un câble que l'on a sectionné pour réparation. La grue sert aux chargements à quai, au déplacement d'engins sur le pont, etc. Un espace assez vaste a été réservé pour pouvoir installer un deuxième ROV, et autres équipements si le navire fait de la pose de câbles de puissance.
Les câbles de communications à fibre optique sont de plusieurs qualités. En bref, s'ils sont très profonds ils ne risquent pas d'être accrochés par des chaluts, ils n'ont alors que des couches assez minces d'isolant et sont simplement posés sur le fond. S'ils sont dans des zones où ils risquent d'être accrochés ils sont blindés plus ou moins fortement et sont ensouillés dans une tranchée.
On voit à droite un boîtier d'épissure, et on peut constater le nombre et la finesse des fibres optiques.

Le chef mécanicien Hoëlig Moguerou nous a fait visiter son domaine. Les installations ne sont pas spécifiques à un câblier. Le pc a une originalité, que je crois n'avoir jamais rencontré auparavant, des hublots avec vue sur l'extérieur. Sinon ce que l'on peut signaler c'est que le navire est richement doté en puissance. La qualification DP2 impose que si la moitié de l'installation est en défaut le navire continue à assurer sa mission en positionnement dynamique. Les différents écrans permettent d'afficher tous les paramètres et de commander les appareils. On peut à distance disposer un circuit de tuyautage, démarrer une pompe ou un groupe etc. Le navire a bien sur la marque AUT qui autorise le fonctionnement sans personnel de quart.
L'énergie est produite par quatre moteurs Caterpillar de 2 250 kW chacun. Un cinquième Caterpillar de 715 kW est suffisant pour fournir l'énergie quand le navire est au port. L'électricité produite est distribuée sous différents voltages aux appareils. Pour la propulsion il s'agit de deux propulseurs azimutaux Rolls Royce de type Aquamaster, de 2 500 kW chacun.

Extinction par eau pulvérisée "Flexifog"

 

 

Compresseur clim
   
Transfo et moteur d'un propulseur transversal
     
Transfo et moteur d'un Aquamaster de propulsion

Les aménagements ne présentent pas un intérêt particulier, c'est propre et net, presque un peu austère. Le Pierre de Fermat peut héberger quatre-vingt personnes dans soixante-dix cabines simples et cinq doubles. Toutes sont équipées de sanitaires complets, c'est devenu fort heureusement la norme. Elles sont dotées aussi d'un écran plat avec la TV et une chaîne hi-fi stéréo. L'effectif au moment de la visite comptait soixante-sept personnes, dont une infirmière, ce qui n'est pas courant.
Le navire est d'ailleurs équipé d'une infirmerie très bien équipée, avec un accès presque direct au pont de travail.
Restaurant, cuisine, cambuse et chambres froides sont regroupées au même niveau, de façon rationnelle.

Le Pierre de Fermat est entré en fonction quelques jours après cette visite, pour une mission en mer des Hébrides.
Je lui souhaite une longue et bonne carrière, et comme disent les Anglais "Always three feet under the keel"
 



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