Un remorquage mouvementé à bord de l'ABEILLE PROVENCE dans les années quatre-vingt
Photos et texte de Roland Grard
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C'était un hiver des années quatre-vingt,1984 je crois. La scène débuta à Falmouth où le remorqueur de haute mer ABEILLE PROVENCE devait prendre en remorque une plate-forme de forage américaine pour la conduire à Sabine Pass au Texas.

En 1977, Les Abeilles Internationales (LAI) décidèrent de s'équiper de deux remorqueurs 130 t : l'ABEILLE NORMANDIE et l'ABEILLE PROVENCE, affrétées par l'Etat. Cette dernière effectua de nombreux remorquages de haute mer avant d'être affectée, en juillet 1978, à la station de sauvetage de Cherbourg, suite au naufrage de l'Amoco Cadiz. Remplacée dans cette mission par l'ABEILLE LANGUEDOC en 1979, l'ABEILLE PROVENCE rejoignit alors Toulon pour des missions de protection du littoral méditerranéen, et ce jusqu'en 1987 date de sa vente aux Etats-Unis.

L'ABEILLE PROVENCE (comme sa sister-ship l'Abeille Normandie) fut construite par le chantier Beliard et Murdoch à Ostende (Belgique) et entra en flotte en 1978.
Caractéristiques
: 66,70 x 13,0 m - TE 5,8 m - JB 1 400 tx - P 16 000 ch - 2 moteurs suralimentés SCAM 20 cyl. en V - deux hélices à pas variable à tuyère fixe - propulseur d'étrave (550 ch)

Abeille Provence
ABEILLE PROVENCE (1978)
(Source : Les Abeilles. Des navires, des Hommes, une Histoire. T. Gazengel, J.L. Déan. Marines Ed., 2005)

Mais la tempête sévissait et l'appareillage fut retardé à plusieurs reprises... impossible de partir sans l'aval des assureurs.

Une "window" météo de 24 h autorisa le départ qui se fit dans d'excellentes conditions, mais le mauvais temps attendu arriva. Cinq jours plus tard, nous étions à seulement... 100 miles dans l'ouest d'Ouessant culant à 6 nds. La remorque fatiguait beaucoup et, dans l'après-midi, nous avons entendu un gros "Bang". La remorque venait de casser à la sortie du local treuil, nous devions avoir plus de 1 000 m dehors, et il était impossible de reconnecter avec la seconde remorque à cause des conditions météo.

La première photo fut prise au tout début. Dans les heures et jours qui suivirent, cette partie du pont devint inaccessible.
Les autres photos furent prises 30 min avant que la remorque ne casse.

Un premier essai eut lieu le lendemain matin, un lance-amarre étant tiré depuis la plateforme où se trouvaient 40 personnes. Tout allait bien jusqu'au moment d'engager le manillon dans la manille de 120 t. Une vague, sans doute plus grosse, provoqua un brusque mouvement du navire et tout cassa. Fort heureusement, personne ne fut blessé. La seconde tentative fut la bonne, la plateforme était désormais sous contrôle, nous nous étions rapprochés d'Ouessant de 50 miles pendant la nuit. Après cela, le convoi se dirigea vers la baie de Douarnenez, l'ABEILLE PROVENCE se rendant ensuite à Brest pour recevoir une nouvelle remorque de 56 mm.

La manille de 120 t, retrouvée sur le pont, ressemblait désormais à... une tige d'acier : elle avait été sous traction, prise de chaque coté sans manillon...

Il est difficile de "rendre" l'état de la mer en photo depuis la "surface", mais je vous assure que cela soufflait fort...

Cette promenade dura 5 jours..., 5 jours pour faire route depuis Falmouth et se retrouver à 100 miles dans l'Ouest d'Ouessant, je ne parle pas de la vitesse moyenne du convoi... Ma mère fut toute surprise de me voir arriver à Brest alors que nous faisions route vers le Texas !

Je me souviens d'avoir utilisé les "vieilles ruses" : j'avais placé deux gilets de sauvetage sous le matelas de ma couchette afin d'être calé contre la cloison, mais cette dernière vibrait sans arrêt et dormir relevait de l'exploit. Même s'il la PROVENCE était un "gros" remorqueur, il ne faisait qu'un peu plus de 60 m de longueur... A cette époque, nombre des marins des Abeilles venaient de la pêche, ils étaient donc habitués, moi moins...

Fort heureusement, j'ai vécu plus de tempêtes à Ouessant qu'au large d'Ouessant, mais c'est mieux à terre...