Rapport du commandant à ses armateurs,
des incidents survenus à son bord.
Retour

Source: Journal de la marine marchande 15 décembre 1995

"Messieurs,

C'est avec regret et hâte que je vous écris cette lettre, regrettant qu'un tel petit malentendu puisse conduire aux circonstances suivantes et afin que vous ayez ce rapport avant que vous ne vous fassiez votre propre opinion basée sur les rapports de la presse mondiale qui, j'en suis sur, auront tendance à surdramatiser l'affaire.

Nous venions juste d'embarquer le pilote et le novice venait de changer le pavillon G par le pavillon H. comme c'était son premier voyage, il avait des difficultés à enrouler le pavillon G.

Je lui ai donc montré, comment il fallait faire et, au dernier moment, je lui ai dit "let go" (Intraduisible, car c'est un anglicisme, "let go.. ayant deux sens en français.. affaler un pavillon ou mouiller l'ancre). Le jeune garçon, bien que plein de bonnes intentions, mais pas très doué, m'obligea à répéter l'ordre d'une voie plus forte. A ce moment-là, le second capitaine apparut à la salle des cartes (il avait relevé la progression du navire) et, pensant que c'était des ancres que nous parlions, répéta le "let go" au premier lieutenant.
L'ancre bâbord qui avait été préparée fut mouillée immédiatement.
Le fait de mouiller l'ancre, alors que le navire naviguait à pleine vitesse, mit le frein du guindeau à trop grande épreuve et la longueur de la chaîne totale bâbord fut défilée. Je crains que les avaries au puits et à la chaîne puissent être importantes. L'effet de freinage de l'ancre bâbord fit naturellement faire une embardée au navire dans cette direction, droit vers le pont tournant qui franchit un affluent de la rivière que nous remontions. Le conducteur du pont tournant fit preuve d'une grande présence d'esprit en ouvrant le pont pour mon navire. Malheureusement, il ne pensa pas à arrêter le trafic routier et 1e résultat fut que le pont s'ouvrit partiellement et déposa sur le pont avant une Volkswagen, deux cyclistes et une bétaillère.
Mon équipage est actuellement en train de récupérer le contenu de cette dernière qui, d'après lui, était des cochons. Dans ces efforts pour arrêter la progression du navire, le premier lieutenant mouilla l'ancre tribord, trop tard pour avoir un effet car elle tomba sur la cabine de contrôle du conducteur du pont tournant. Après que l'ancre bâbord fut mouillée et que le navire commençait à virer, je signalais à la machine "arrière toute ", et appelais personnellement la machine pour demander le maximum de puissance. On m'avisa que la température de l'eau était de 53 F. Et on me demanda s'il y avait un film ce soir. Ma réponse n'apporterait rien de constructif à ce rapport.
Jusqu'à maintenant, j'ai limité mon rapport aux évènements à l'avant du navire. A l'arrière, ils avaient leurs propres problèmes. Au moment où l'ancre bâbord fut mouillée, le deuxième lieutenant surveillait le remorquage arrière et passait le câble de remorquage au remorqueur. L'effet de freinage brutal de l'ancre bâbord eut pour effet que le remorqueur passa sous la poupe du navire juste au moment où l'hélice répondait à mon double appel "en arrière toute". La réaction rapide du lieutenant en saisissant l'arrière de la remorque, retarda de quelques minutes le naufrage du remorqueur, permettant par conséquent l'abandon en toute sécurité de ce navire.
C'est étrange, mais juste au moment où nous mouillions l'ancre bâbord, il y eut une panne d'électricité à terre. Le fait que nous traversions une zone de câble à ce moment-là, pourrait suggérer que nous avons touché quelque chose sur le lit de la rivière. 11 peut être heureux que les câbles à haute tension que le mat avait fait tomber, n'étaient pas alimentés. Probablement remplacés par le câble sous-marin, mais étant donné la nuit à terre, il est Impossible de dire où est tombé le pylône.

Je ne manque jamais de m'étonner de la réaction des étrangers pendant des moments de crise mineure.

Le pilote, par exemple, est recroquevillé en ce moment dans un coin de ma cabine, tantôt s'en prenant à lui-même, tantôt en pleurant après avoir bu une bouteille de gin dans un temps qui mérite mention dans le livre guiness des records. D'un autre côté, le pilote du remorqueur réagit violemment et a dû être maîtrisé par le steward qui lui mit des menottes aux mains, et le conduisit à l'hôpital d'où il me fait dire de faire des choses impossibles avec mon navire et mon équipage.
Je joins les noms et adresses des conducteurs et compagnies d'assurance des véhicules qui se trouvent sur le pont, que le premier lieutenant, a noté après l'évacuation quelque peu précipitée du gaillard. Ces renseignements vous permettront de réclamer pour les avaries qu'ils ont fait au bastingage de la cabine.
Je termine ce rapport préliminaire car je trouve difficile de me concentrer avec les bruits des sirènes de police et les lumières de leurs gyrophares.
Ma conclusion sera qu'il est triste de penser que si le novice avait réalisé qu'il n y a pas besoin d'avoir le pavillon pour les pilotes après la tombée du jour, rien de ceci ne serait arrivé.