- Jeudi 1er octobre – Le vent hâle SO et OSO. Le ciel se découvre, enfin nous allons avoir du beau temps.
L= 13° 38’ S. G= 87° 12’ O. B= 776 m= 170 T= 15°
- Vendredi 2 octobre - Mer presque calme, temps splendide. Dans la nuit, les matelots recommencent à dormir sur le pont pendant leur quart.. Vers 11 h, aperçu un 3 mâts se dirigeant vers les côtes du Chili.
L= 32° O7 S. G= 88° 46’ O. B= 777. T= 15° m= 120
- Samedi 3 octobre – Rien de remarquable – Les alizés SE commencent à donner ?
L= 30° 28’ S. G= 90° 40’ O. B= 780. T= 18° m= 145
Dans la soirée, temps splendide, aussi fallait-il voir l’activité qui régnait à bord. Ceux qui n’étaient pas de quart, faisaient prendre l’air à leurs effets, et nettoyaient le poste. Les autres travaillaient comme des enragés à la toilette du navire. On eut dit que nous étions sur le point de voir Frisco. Pour ma part, j’avais à enlever les saisines des embarcations qui servent aux renforts des amarrages pendant la mauvaise saison. En une heure, tout était fixé.
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- Dimanche 4 octobre – Belle nuit des tropiques, aussi la tentation est trop forte, et comme les matelots de ma bordée, je me roule dans une couverture et dort sur la dunette, laissant au lieutenant le soin de la garde.
Aujourd’hui, nettoyage personnel. Quelques uns n’ont pas lavé leur linge depuis plus de deux mois. Aussi, toute la matinée, le navire est changé en lavoir, et en salon de coiffure. Même les vieux Mathurins qui portent la barbe en Europe, se la font couper pour paraître plus américains. Le Capitaine lui-même daigne se relâcher et, Ô miracle, nous fait servir deux plats de supplément, mais en revanche, l’apéritif est détestable. La brise aussi se met de la partie. C’est à souhaiter qu’elle se maintienne.
L= 28° 20’ S. G= 92° 35’ O . B= 779. T= 18° m= 165.
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- Lundi 5 octobre – A partir d’aujourd’hui, tout le monde reprend le travail de midi à 5h. Nous passons la soirée à déverguer les basses voiles qui ont servi pendant la mauvaise saison, et à les remplacer par celles de beau temps. En hissant le petit hunier fixe, j’ai eu la main droite prise dans la poulie du cartahu. Heureusement, j’ai crié assez tôt, et le second a pu retenir la drisse. Sans cela, j’aurais eu tous les doigts en compote. J’en suis quitte pour l’index à moitié écrasé à la jointure de la première phalange, ce qui me fait souffrir. Ainsi, pendant plusieurs jours, je ne vais pas pouvoir transcrire mon journal, et mon brouillon que je n’abandonne pas. C’est illisible.
L= 26° 37’ S. G= 94° 34’ O . m= 125. B= 775. T= 19°.
- Mardi 6 octobre - De 4h. du matin, à 8 h. du soir, tout le monde est à nettoyer à la potasse les panneaux et roufles. Comme je ne peux le faire à cause de ma main, je racle avec des débris de verre, les boiseries de la claire-voie du salon, et je fourbis les cuivres. Pour nous réconforter, au déjeuner, nous avons du rata de bœuf, du lard gâté, avec une bouillie de riz, sorte de colle de farine. Voila de quoi nous rassasier !
L= 25° 06’ S. G= 95° 45 O. m= 100 B= 772. T= 21°
- Mercredi 7 octobre - Je crois bien que nous sommes condamnés à faire une longue traversée avant d’arriver, car après le mauvais temps : le calme, voila deux jours que la brise ne donne pas, bien que nous soyons dans les alizés de SE. Heureusement que le courant porte au NE.
Pendant le quart de 8 h. à minuit, les matelots de ma bordée ont refusé de manœuvrer. Le lieutenant qui est chargé de surveiller le quart à la place du second pendant les beaux temps, commande une manœuvre qui n’avait pas top raison d’être. Aussitôt exécutée, voila la brise qui se met à donner de l’avant et masque le navire. Il s’en est fallu de peu que la grand-voile soit mise en morceaux. Aussitôt, l’officier perd la tête et commande une manœuvre d’une bêtise encore plus grosse.. C’était de hâler bas quelques voiles qui seules nous soutenaient encore. Alors tous les hommes ont refusé de lui obéir, et même un vieux l’a envoyé promener. Puis sans faire attention à lui, nous nous sommes occupés à de re-brasser les vergues pour les ramener au vent. Vous parlez de quelqu’un en colère, mais il ne peut pas se plaindre et a même tout intérêt à ne rien dire, car si l’on sait son histoire, le Capitaine pourrait le casser. Depuis 8 jours à peine qu’il commande le quart, c’est la deuxième boulette qu’il fait.
Vers 10 h. la brise reprend ESE, et enfin toute la soirée, nous avons un temps assez beau. Ce n’est pas de trop, car voila déjà deux mois que le soleil ne s’est pas montré plus de trois heures sur vingt quatre.
A midi, nous entrons dans les tropiques, cette fois c’est pendant la saison des pluies, mais avec la chaleur que nous désirons.
L= 23° 30’ S. G= 97° 04’ O m= 115. T= 21 B= 770
- Jeudi 8 octobre – Depuis hier 10 h. du soir, nous recevons des ondées formidables. Celles qu’on pourrait ramasser en une demi-heure, seraient une provision d’eau pour plus de 6 mois, si elle n’était pas aussi acide.
Dans la journée, continuation du nettoyage général, par le grattage des râteliers de manœuvre, et des hauts mâts. Nous n’avons plus de moments libres maintenant. Aussi, pendant que l’officier de quart ne me voit pas, je m’esquive pour écrire ces quelques lignes, laissant à Levrier le soin de gratter le râtelier d’artimon. Mais aussitôt que le soleil parait, le second m’appelle pour faire de la photo. Pour lui, c’est un travail beaucoup plus utile, car il veut absolument à l’arrivée une collection de photos, pour envoyer à sa femme. Malheureusement, le peu de papier que j’ai m’oblige à en faire le moins possible pour chacun, afin de pouvoir vous faire un petit album.
L= 21° 10’ S. G= 98° 27’ O. B= 770 T= 20° m= 155
- Vendredi 9 octobre - Rien de nouveau, même temps.
L= 18° 58’ S. G= 99° 39’ O. B= 770 T= 22° m= 150
- Samedi 10 octobre – Journée presque calme.
L= 17° 11’ S. G= 100° 31’ O. B= 765 T= 22° m= 120
- Dimanche 11 octobre – Dans la nuit, la brise reprend de SE. Très beau temps, chacun en profite pour mettre ses effets à l’air. Le pont ressemble à un immense bazar et de tous les cordages, pendent des habits, chemises, tricots, etc… multicolores.
L= 15+ 15’ S. G= 101° 52’ O. B= 768. T= 25° m= 125
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- Lundi 12 octobre – Nous avons fini le nettoyage du navire, et maintenant tous les matelots sont en peinture, quant à Messieurs les Pilotins (Je parle de Levrier et moi) nous nous ennuyons ferme, d’autant plus que la brise est complètement tombée, et surtout que nous sommes possédés par une flemme insensée, qui nous interdit tout travail intellectuel. Aussi, nous nous mettons à l’ombre sur la dunette, et passons notre temps à faire nos essais de chiquer, mais cela ne me dit rien qui vaille, ce qui fait dire à un vieux loup, que je ne serai jamais un marin, car pour l’être, il faut chiquer, fumer, boire le tafia, être crassou, et lâcher beaucoup de gaz (Plus vulgairement péter), indice que l’on mange des fayots !
L= 13° 12’ S. G= 103° 04’ O. B= 763 T= 26° m= 130.
- Mardi 13 octobre – Très beau temps, belle brise de SSE, nous filons grand largue vers la ligne.
Dans la journée, il m’arrive un très grand malheur, je casse le tuyau de la pipe en écume que m’avait donné mon papa, mais mon matelot se charge de l’arranger. Ce n’est pas de veine, c’était la seconde fois que je la fumais ! Nous passons notre journée à faire les forgerons. Les pilotins, novices, et matelots légers ont pour ouvrage de dérouiller les barres de fer qui ferment les panneaux. De midi à 5 h., nous tapons dessus comme des forcenés. J’avais pris deux marteaux pour faire plus de bruit, les autres étaient obligés de se boucher les oreilles. Le lieutenant voulait nous faire taire, mais le second lui a dit : « Laissez les enfants s’amuser ! »
L= 10° 52’ S. G= 104° 13’ O. B= 763. T= 25° m= 150
- Mercredi 14 octobre – Aujourd’hui, le soleil atteint sa plus grande hauteur. Pour nous, il passe à notre zénith, et nous n’avons que 24° de chaleur. Quelle différence avec l’Atlantique où le thermomètre monte à 32 & 35°.
Dans la matinée, je change encore de métier. Hier, c’était forgeron, aujourd’hui apprenti mécanicien. Avec le second et le mécanicien Chef du bord (Il est seul). J’arrange le guindeau de l’avant. (Appareil servant à la manœuvre des amarres dans un port)
L= 8° 25’ S. G= 105° 29’ O. B= 765 T= 24° m= 155
- Jeudi 15 octobre – Vers 5 h. du matin, nous apercevons un 3 mâts barque courant grand largue comme nous. Il laisse porter pour s’approcher, mais dans la journée, nous le laissons un peu derrière. Nous sommes si attentifs à ses évolutions, que nous ne voyons pas une dorade qui se prend à nos lignes. Lorsque nous avons voulu la déhaler, elle paraissait si lourde qu’elle laisse sur les crocs tout son palais. Adieu le bon déjeuner ! C’était une jolie bête qui avait plus d’une brasse de long et devait bien peser 35 à 40 kilos. Moi qui comptais me régaler pour fêter la Sainte Thérèse ! Toute la journée, nous avons été en lutte avec l’autre voilier, mais nous sommes restés à la même distance.
L= 6° 15’ S. G= 107 O. B= 762 T= 24° m= 155
- Vendredi 16 octobre – Le calme s’est déclaré dans la nuit. Au matin, le trois mâts s’est rapproché de nous et n’était qu’à 3 ½ milles. Nous signalons. C’est le « Cornil Bart » de Dunkerque que nous avions vu à Cardiff, et nous connaissons le Capitaine et son frère est le lieutenant. Nous passons la journée à signaler avec lui. Nous nous communiquons nos calculs. Il est parti 13 jours après nous, en avait 7 d’avance au Cap et en a rattrapé 6 après. Ce sont les jours que nous sommes restés en cape avec le mauvais temps.
Au soir, toujours calme et même distance qui nous sépare. Peut-être allons nous rester plusieurs jours ainsi. S’il était plus près, nous irions lui demander des pommes de terre dont nous sommes privés depuis 70 jours.
Dans la journée, les matelots attrapent plusieurs bonites de 10 à 15 kilos. Le cuisinier est si encombré, qu’il en met des morceaux partout, même dans le thé ! On dirait de l’huile de foie de morue ! Très désagréable pour les personnes difficiles !
L= 4° 38’ S. G= 108° 08’ O. B= 762. T= 25° m= 130
- Samedi 17 octobre – Dans la nuit, le « Cornil Bart » a gagné sur nous, mais sa route étant plus ouest, il est à bâbord. Vers 6 h. nous nous souhaitons le bonjour et saluons. Les officiers se font des signaux à bras. A midi, quoique nous soyons presque en calme, il nous a dépassé de plus d’un mille. Nous distinguons à peine ses signaux de longitude. Nous lui demandons par plaisanterie, s’il veut nous prendre en remorque. Il nous répond de venir la chercher. Au soir, il disparaît avec bonne brise et nous, avec calme plat ! A remarquer dans le journal, un excellent déjeuner. J’ai mangé en tout un maquereau gros comme une sardine !
L= 3° 05’ S. G= 109° 05’ O. B= 760 T= 26° m= 105
- Dimanche 18 octobre – Toujours calme, beau temps. Nous sommes environnés de gros thons rouges et de dorades. Les harponneurs sont à leur poste pour les pêcher. Au déjeuner, nous prenons une coupe de champagne en l’honneur de la ligne que nous couperons probablement demain pour la deuxième fois.
L= 1° 40’ S. G= 109° 50’ O. B= 764 T= 26° m= 95
- Lundi 19 octobre – Toujours calme.
L= 0° 47’ S. G= 110° 27’ O. B= 763 T= 28° m= 55
- Mardi 20 octobre – En 24h, nous n’avons pas avancé d’un pouce., le courant nous emporte un peu, et c’est tout. Quel amusement, lorsque nous sommes si près de Frisco ! Le Capitaine ne décolère pas. Le second fait passer sa mauvaise humeur, en jouant de l’accordéon dix huit heures sur vingt quatre. Les matelots sont enchantés car ils auront davantage à toucher en rentrant. Quant à moi, si je le pouvais, je soufflerais dans nos voiles pour nous faire avancer. En attendant, j’erre de l’avant à l’arrière, de ma chambre chez Levrier, comme une âme en peine.
L= 0° 31’ S. G= 110° 45’ O. B= 769 T= 28° m= 18
- Mercredi 21 octobre - Enfin, une petite brise à donné du SSE pendant le quart de 8 h. à minuit. Nous filons vent arrière, et selon l’estime, nous avons repassé la ligne vers 3 h. du matin. Cette nuit, j’ai été nommé officier de quart, le lieutenant étant tombé malade, effet de la bonne nourriture que nous avons, et pourtant, c’est lui qui engraisse le plus : fayots-cochon… cochon-fayots ! Quelques conserves à la vinaigrette, et c’est tout. Ah ! quand je serai à Frisco, quelle hécatombe de fruits et de légumes frais ! Du reste, c’est le pays.
L = 0° 48 N. G= 111° 37’ O. B= 761 T= 26° m= 80
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- Jeudi 22 octobre – Le courant nous a donné une bonne poussée pendant ces dernières 24 heures. Il nous a fait faire 60 milles de plus que l’estime, ce n’est pas de trop ! Lorsqu’en passant la ligne, nous sommes tombés de printemps en automne. Nous ne nous en apercevons pas. La chaleur est très forte, mais ces jours-ci, nous allons être dans le pot au noir.
L= 3° 20’ N. G= 113° 20’ O. B= 760 T= 27° m= 180
- Vendredi 23 octobre -
L= 6° 03 N. G= 114° 20’ O. B= 761 T= 25° m= 150
N’ayant rien de remarquable à noter aujourd’hui, j’en profite pour médire un peu plus de mon prochain, qui se compose ici de mes supérieurs et inférieurs.
Capitaine : M. Legoff – 47 ans – 30 ans de navigation, fait son dernier voyage. A débuté comme mousse au cabotage. Reçu Capitaine, a commandé à 26 ans (1884) le 3 mâts « France », voyage d’acajou du Nicaragua. Puis en 1898, voyage de morues à Saint Pierre. A bouché en Mars 1898 l’entrée du vieux port de Marseille, en faisant naufrage dans un coup de mistral. Bon bonhomme sans volonté, peu débrouillard, ce qui est rare pour un malouin. Il ne s’occupe de rien à bord, au point qu’il laisserait mourir l’équipage sans le soigner. D’une avarice sordide, tous les officiers qu’il a eu s’en sont plaints. Il fait économie de conserves, ce qui ne lui sert à rien, car il y en a 1 200 k. chez lui, paraît-il. C’est de même sa femme qui le presse d’embarquer pour pouvoir vivre à son aise.
Second : M. Humbert (Pas Hubert-Crawford) capitaine de 28 ans. Paimpolais, fils d’un Maréchal des logis de la Garde Républicaine. A gagné tous ses grades depuis mousse dans la compagnie Bordes de Dunkerque. (Voyage du Chili). Très recherché des armateurs dunkerquois pour sa connaissance du métier et des parages du Cap Horn. Malheureusement, il a peu de connaissances en langue française. Caractère vif, emporté mais juste, me traite en ami. Véritable maître à bord. Signes particuliers : très aimé de l’équipage,. Ne laisse pas les conserves se gâter. Grand amateur de photographie, chant et musique.
Lieutenant-cambusier : 22 ans, élève de la marine. Natif de la côte des pilleurs d’épaves dans le Morbihan, ayant tout le caractère de ses ancêtres. Ancien matelot au cabotage sur la côte d’Espagne et du Maroc. Ne cherche que son intérêt, ce qui lui a valu de se faire envoyer promener par Levrier et moi. Mauvais envers l’équipage à qui il ne donne jamais la ration complète. Vindicatif, désordre, noceur au point d’en avoir attrapé une maladie chez les Maures. Signe particulier : aura souvent des révoltes à son bord.
Pilotin Cayron : 19 ans Capitaine théorique avec brevet supérieur. Remarquable par son amour du métier, voudrait toujours être en tempête, mais à condition d’avoir un bon déjeuner à la clef. Grand ami de tout l’équipage. Médecin, chirurgien, dentiste, pharmacien, photographe du bord, n’aime pas se disputer avec quelqu’un. Regrette une chose être privé de sa famille pendant un an.
Pilotin Levrier : 20 ans, Capitaine théorique. Grand ami du précédent. Travailleur et dur à la fatigue. D’aspect froid au premier abord. N’a que trois défauts : trop de bagout - fume trop - n’a peur de personne, au point qu’il irait flanquer son pied au derrière du Capitaine, s’il y avait lieu ! Ne se gêne pas pour dire ses vérités au lieutenant.
Bossman ou Maître d’équipage : 35 à 38 ans. Tête d’anarchiste au physique, mais tout le contraire au moral, même trop bon. Respectueux au point de me dire : « Monsieur Georges, voudriez-vous faire ceci… auriez-vous le temps de faire cela… etc… » A fait deux fois naufrage. Dans l’un, il a été seul à se sauver.
Pilotin du petit roufle (Pilotin non officier) 18 ans, triste sire. A du être embarqué de force. Soi-disant fils de Commandant d’Artillerie roulant sur l’or. A été 6 mois à l’école de commerce de Marseille, parce qu’il y avait 80 places, et 70 candidats seulement. Nullité complète. Parle de tout et veut tout connaître. Education à la J.J. Rousseau. A pour idéal Voltaire et Napoléon. Bête noire de l’équipage, a failli être jeté par-dessus bord plus d’une fois, et n’en est pas encore à sa fin. On pourrait faire tout un volume sur lui.
Pilotin matelot : 20 ans, garçon très sérieux, ancien candidat au Borda, s’est embarqué à brûle pourpoint, et le regrette maintenant.
Mousse de chambre : Ami du Capitaine. Aspirant mécanicien de la flotte, il est maître d’hôtel, domestique du carré, laveur de vaisselle. Très aimable, mais sale comme un véritable Breton.
Cuisinier : Véritable clown. Le moins à plaindre du bord, connaît très peu son métier, et arrange les plats à la « va te faire foutre ! »
Mécanicien : Ex quartier maître torpilleur passé en conseil de guerre. Payé 100 f. par mois pour chauffer la machine cinq à six fois dans le voyage. Ne connaît rien du métier. Ivrogne complet, n’a que de l’alcool dans les veines .Un jour, il prendra feu en allumant sa chaudière ! A 3 pantalons et 2 chemises pour tout le voyage !
Charpentier : Brave garçon. 18 ans. Paimpolais, s’entend très bien à charcuter le bois.
Le reste des hommes formant l’équipage proprement dit, divisé en bordées bâbord et tribord.
Second-Maître : 26 ans, garçon très intelligent mais fier, ce qui le fait détester de l’équipage.
Matelot voilier : 40 ans, A roulé sa bosse dans tous les pays. Forte tête, a déserté 2 ou 3 fois.
2 matelots légers : L’un de 17 et l’autre 19 ans. Ce sont les domestiques de leur bordée.
Lampiste : Mon matelot. Le doyen du bord, 48 ans. Affligé d’une famille de 10 enfants, et ce n’est pas encore fini… a t-il dit.
1 gabier beaupré et 1 gabier grand-mât – 27 ans, crème des matelots, ont navigué sur transatlantiques.
1 gabier misaine : 25 ans, voyou de Nantes, forte tête, déserteur à 16 ans en Amérique. A fait toutes les îles du Pacifique et les Indes. Rentré en France à l’armistice de 1899, a passé 42 mois en prison sur 48 de service.
Bordée tribord : 2 voiliers dont l’un ayant assez d’instruction, comptait passer second sans la loi de 1902.
2 gabiers de mât. L’un prépare le Capitaine au Cabotage, l’autre Constructeur de bateaux… en bouteilles ! 1 gabier de misaine : Bon garçon, mais très fier de sa personne. 1 gabier de beaupré : Presque enfant… bien qu’ayant 40 ans seulement. A attrapé les fièvres à faire seulement pendant 5 ans, le cabotage aux Indes. 1 matelot léger : 19 ans. A navigué jusqu'à ici, avec les Danois. & 1 Novice : 15 ans, prépare Capitaine au long cours.
Le matelot appelé « Jean Legouin », est le type le plus à plaindre sur terre ! Travaillant comme un forcené les ¾ du voyage, logé dans un cadre ; véritable caisse, nourri continuellement de lard pourri et de fayots, avec pour toute paye 70 f. La généralité est sans éducation,, et pourtant, on en rencontre d’assez instruits, et de très intelligents, mais chiqueurs, fumeurs, buveurs, et noceurs une fois à terre. En revanche, Jean Legouin est universel, et fait de tout, à part les métiers du bord, il est coiffeur, tailleur, forgeron, horloger, musicien chanteur. Beaucoup sont habiles dans le dessin, et à tribord, nous avons deux artistes. D’autres construisent des petits navires, véritables bijoux qui leur rapportent plus de 30 f. pièce.
En général, à part la majorité des Bretons, les matelots sont de fortes têtes, et les déserteurs sont nombreux. C’est pourquoi la plupart des équipages ont un a six étrangers. Le nôtre fait exception ; tous Bretons et bons garçons !
- Samedi 24 octobre – Nous sommes en plein pot au noir, mais le beau temps y remplace la pluie en ce moment, et une bonne brise du S. le calme. Le seul désagrément, est un courant O. Si cela continue ainsi, dans une semaine, nous serons à Frisco.
L= 8° 08’ N G= 115° O. B= 763 T= 26° m= 140
- Dimanche 25 octobre – La pluie est intervenue hier au soir, et depuis 8 h, elle tombe sans discontinuer, mais ce ne sont pas des grains équatoriaux. Malgré tout, nous avons rempli en 8 heures, une caisse à eau de 10m3, 2 caisses d’armement de 600 litres chacune, et 6 barriques. Dans la journée, impossible de faire le point.
L= 10° 12’ N. G= 116° 06’ O. B= 761. T= 27° m= 140.
- Lundi 26 octobre – La brise reprend du SSE, mais très faible. Presque calme. Encore impossible de faire le point.
L= 11+ 35’ N. G= 116 O. B= 760. T= 28° m= 100.
- Mardi 27 octobre – Toujours calme. La pluie est revenue, nous marchons à l’estime. Le temps se lève un peu. Pour nous occuper, nous chauffons la chaudière, et manœuvrons le treuil et le guindeau, puis faisons la visite de 160 mètres de chaînes d’ancres.
L= 12° 58’ N. G= 116° O1’ O. B= 760 T= 30° m= 60.
- Mercredi 28 octobre – Vers 1 h, nous avons quitté le pot au noir, et sommes entrés dans la région des alizés du NE. Quoique nous soyons à l’allure du plus près, la vitesse est excellente, la brise atteint parfois le grand frais, la bande du navire est très prononcée. A midi, nous marquons 180 milles.
Dans la nuit, deux hirondelles équatoriales, l’une noire, l’autre grise et blanche avec la queue couverte de piquants, sont venues s’abattre sur le navire. Nous les avons gardées jusqu’au soir, puis la première est morte, la seconde s’est noyée.
L= 15° 33’ N G= 117° 40’ O. B= 761 T= 31° m= 180.
- Jeudi 29 octobre – Journée monotone, mais l’on ne s’ennuie plus guère, Frisco n’est pas loin. Dans la matinée, nous prenons un fou qui s’était posé sur la vergue de cacatois. Deux autres se sont échappés. Ces oiseaux ont un petit corps, une tête de renard, et une grande envergure. Ils portent à la queue deux longues plumes, ce qui les fait surnommer par Jean Legouin « Paille en cul »
L= 17° 34’ N. G= 118° 46’ O. B= 761 T= 31° m= 135.
- Vendredi 30 octobre – Rien de neuf, journée accablante par la chaleur, comme les précédentes. Sur le soir, on aperçoit la voilure d’un trois mâts qui descend de Frisco
L= 18° 44’ N. 19° 45’ O. B= 763 T= 31° m= 90.
- Samedi 31 octobre – Le calme qui est survenu jeudi matin, continue toujours avec la chaleur.
L= 19° 40’ N. G= 120° 48’ O. B= 763 T= 27 m= 80. |
- Dimanche 1er novembre – En l’honneur de la Toussaint, nous buvons une bouteille de champagne. La générosité du Capitaine nous étonne ! Le beau temps qu’il fait, nous change un peu, car jusqu’ici, les dimanches n’avaient pas été très agréables. Hélas il y a toujours un point noir : le calme.
L= 20° 25’ N. G= 122° O. B= 764 T= 25 m= 75.
- Lundi 2 novembre –
L= 20° 46’ N. G= 123° 08’ O. B= 765 T= 26° m= 60
Je profite de ce que je n’ai rien à noter aujourd’hui, pour faire la description du carré, c'est-à-dire du grand rouffle :
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