Le mystère Lapérouse
enquête dans le Pacifique sud
(Musée de la Marine - Paris)
Palais de Chaillot (19 mars – 20 octobre 2008)
Françoise Massard
Sommaire

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Alors que la Marine Nationale et l'Association Salomon (Nouméa, Président Alain Conan) repartent à Vanikoro, lieu du naufrage de la BOUSSOLE et de l'ASTROLABE — les deux flûtes de l'expédition Lapérouse — pour une nouvelle et probablement dernière mission sur site (10 mai-11 juin 2008), le Musée national de la Marine (Paris) propose, jusqu'en octobre, une superbe exposition consacrée à la disparition, en 1788, des 220 marins et savants français conduits par le Capitaine Jean-François de Galaup, comte de Lapérouse, partis pour une circumnavigation qui devait durer entre trois et quatre années..

Cette exposition nous fait revivre une extraordinaire aventure planétaire qui s'est arrêtée brutalement dans les Iles Salomon, quelque part dans le Pacifique Sud. Une magnifique scénographie met en valeur les motivations qui ont poussé marins et savants, en plein siècle des Lumières, à risquer leur vie pour découvrir de nouvelles terres et faire avancer la science.

L'exposition présente un très grand nombre d'objets mis à jour lors des précédentes campagnes de fouilles, tant en mer (sur les épaves) qu'à terre (où l'on sait aujourd'hui que des survivants ont vécu). Très émouvant. A voir absolument...

 

Cette exposition, dont je conseille vivement la visite tant elle est riche, très bien documentée, superbement présentée et bien sûr émouvante, me permet de parcourir ici, à l'identique, les différentes étapes de cette expédition dans la droite ligne de celles de Louis-Antoine de Bougainville, John Byron et, bien sûr, James Cook à qui Lapérouse vouait un véritable culte : "Plein d'admiration et de respect pour la mémoire de ce grand homme, il sera toujours à mes yeux le premier des navigateurs."

 

Il est bien difficile aujourd’hui de se représenter ce que pouvait être un voyage de découverte à la fin du XVIIIe siècle. Aussi, l'exposition s'attache t-elle à présenter les principaux personnages qui ont contribué à la réalisation de la grande expédition de Lapérouse, et tout d'abord le roi Louis XVI à qui revient l'initiative du voyage, mais aussi Claret de Fleurieu, directeur des ports et arsenaux et rédacteur des instructions pour le voyage, le maréchal de Castries, ministre de la Marine, le lieutenant général comte d'Hector, commandant la marine à Brest, Lapérouse et Fleuriot de Langle, les deux capitaines des flûtes de l’expédition, sans oublier les quatorze savants embarqués.
L ’exposition évoque aussi ceux qui sont partis à leur recherche dès 1791 : d’Entrecasteaux, Peter Dillon et Dumont d’Urville.

Louis XVI donnant des instructions à Lapérouse le 26 juin 1785 (Huile sur toile par Nicolas-André Monsiau, 1817 - Musée national du château de Versailles © MnM/A. Fux)

     

Lapérouse, un marin de légende

Le succès ou l’échec d’un tel voyage d’exploration autour du monde, tel qu'il fut mis sur pied par Louis XVI en personne et ses conseillers, est étroitement lié au choix des hommes appelés à le conduire. Or, tout au long de sa carrière, en toutes circonstances, Lapérouse (né à Albi en 1741) avait fait preuve des plus belles qualités d’homme et de marin. Entré à l'âge de 15 ans chez les gardes de la marine, il n'avait depuis lors cessé de naviguer et s'était illustré en particulier durant la guerre d'indépendance de l'Amérique (fameuse bataille de l'Hudson contre les Anglais, 1782). Meneur d'hommes, tout en étant humaniste, il avait la réputation d'un excellent marin, toujours curieux des dernières innovations techniques en terme de navigation. C'est Lapérouse lui-même qui suggéra à Louis XVI de lui adjoindre Paul-Antoine Fleuriot de Langle pour commander la seconde frégate de l'expédition : "Personne dans la marine n'est plus capable que lui de me seconder. C'est autant le choix de ma tête que celui de mon cœur." (Fleuriot de Langle avait aussi participé à la campagne d'Amérique).

Sa brusque disparition dans le Pacifique, et l’absence d’informations durant les deux siècles qui ont suivi, ont contribué à transformer en légende un marin déjà hors du commun. La crainte, puis la confirmation du dramatique naufrage de 1788, agitèrent les esprits et les cœurs jusqu’à ce que, après les péripéties d’une longue recherche, fut apportée la preuve de la perte totale de L’ASTROLABE et de LA BOUSSOLE à Vanikoro.

L' ile de Vanikoro (ci-dessous à droite, photo Association Salomon - DR) appartient à l'archipel des iles Salomon, situées dans le Pacifique sud, à l'est de l'Australie, comme le montrent les photos prises par satellite ci-dessous (vues Google Earth).

Restituant le contexte de l’expédition de Lapérouse (1785-1788), l'exposition en retrace les préparatifs, les principales escales, ainsi que les travaux qui furent menés par les marins (au niveau des mesures de longitude en particulier) et les scientifiques (autour de la faune et de la flore). Elle évoque ensuite la disparition tragique longtemps restée mystérieuse, puis les fouilles successives avec leur lot de découvertes significatives et bien sûr émouvantes. Elle rappelle également les voyages de Cook, en les mettant en parallèle avec ceux de Bougainville et de Lapérouse.

Contexte historique de l'expédition

En cette fin du siècle des Lumières, les conflits franco-anglais s’achèvent, la guerre d’Amérique est conclue en 1783 par le traité de Versailles, et l’on se tourne vers des activités plus pacifiques. La Marine royale française est une pépinière de savants qui se retrouvent au sein de l’Académie royale de Marine fondée à Brest en 1752. Alors que l’Angleterre a une avance considérable dans la découverte du Pacifique grâce aux trois voyages menés par James Cook entre 1768 et 1780, Louis XVI décide que la France doit prendre toute sa place dans cette exploration du monde. Un grand voyage, placé sous le commandement de Lapérouse, brillant officier de la Marine royale, est donc programmé.

Les Instructions

Elles sont définies conjointement par le roi Louis XVI dont on sait l’intérêt pour la marine et la géographie (il en a fait quasiment une affaire personnelle), le ministre de la Marine de Castries et le directeur des ports et arsenaux Claret de Fleurieu qui en est le rédacteur. Les objectifs du voyage, qui doit durer plus de trois ans, sont multiples : compléter la cartographie du Pacifique (notamment en ce qui concerne la côte nord-ouest de l’Amérique et la côte asiatique), créer des comptoirs pour le commerce des peaux entre la côte ouest de l’Amérique et la Chine, mener un programme ambitieux d’observations scientifiques et espionner les implantations des autres puissances européennes.

Page de titre du recueil des Instructions remises à Lapérouse pour l’expédition (exemplaire conservé par Louis XVI) - Bibliothèque Mazarine © Bibliothèque Mazarine / Suzanne Nagy

"Quoique la route du S. de Lapérouse soit tracée par la présente instruction, et que les époques de ses relâches et la durée de ses séjours y aient été indiquées, Sa Majesté n'a point entendu qu'il dût s'assujettir invariablement à ce plan. Tous les calculs présentés ici par aperçu doivent être soumis aux circonstances de sa navigation, à l'état de ses équipages, de ses vivres et de ses bâtiments, ainsi qu'aux évènements de sa campagne et aux accidents qu'il n'est pas possible de prévoir." (...)

Les commandants et leurs équipages

C’est du port de Brest que les deux navires, LA BOUSSOLE et L’ASTROLABE, respectivement commandées par Jean-François de Galaup de Lapérouse et Paul-Antoine Fleuriot de Langle, appareillent le 1er août 1785. L’exposition présente des pièces témoignant de l’origine, du parcours et de la personnalité des chefs de l’expédition. Elle montre aussi le rôle d’équipage composé d’officiers, de savants, de marins et d’artistes. «Les Bretons sont ceux les plus propres à faire des campagnes de ce genre, leur force, leur caractère et le peu de calcul qu’ils font sur leur avenir doivent leur faire donner la préférence.» Ainsi parle le comte d’Hector, à l’époque intendant du port de Brest comme on l'a déjà vu. À bord, s’entassent deux cent vingt hommes, avec le matériel et les vivres nécessaires à une telle expédition. On n’oublie pas les marchandises d’échanges à embarquer (casques de dragon, hausse-cols, sifflets, perles et verroterie, barres et outils en fer) .pour développer les contacts avec les populations locales, et se procurer des vivres frais.

La préparation scientifique

Quatorze savants et ingénieurs, choisis parmi les meilleurs de leur temps, et accompagnés de trois dessinateurs, emportent à bord une bibliothèque impressionnante et les instruments les plus sophistiqués afin d’accomplir leurs missions dans tous les domaines (cartographie, astronomie, géographie, histoire naturelle, physique). À Londres, l’ingénieur Monneron acquiert des instruments de précision et se renseigne sur la prévention du scorbut.


Parmi les savants, on citera le physicien et minéralogiste Lamanon, le physicien et aumônier de la BOUSSOLE l'abbé Mongès, le géographe Bernizet, les astronomes Louis Monge (qui dut malheureusement vite quitter l'ASTROLABE car il ne réussit jamais à s'amariner) et Lepaute d'Agelet (qui avait déjà participé au voyage de Yves-Joseph de Kerguelen), les botanistes Collignon et J. de la Martinière (également médecin), le naturaliste et aumônier de l'ASTROLABE, le père Receveur, etc. Egalement embarqué (à bord de l'ASTROLABE), comme interprète de russe, le jeune diplomate Jean-Baptiste Barthélemy de Lesseps (oncle de Ferdinand de Lesseps, constructeur du canal de Suez).

Ci-dessus, liste des ingénieurs, savants et artisans embarqués à bord de la BOUSSOLE (publiée dans "Le voyage de Lapérouse, de Brest à Botany-Bay, annoté par J.B.B. de Lesseps"

Quelques-uns des instruments de navigation de l'expédition Lapérouse, retrouvés à Vanikoro lors des fouilles de 1999 et 2005
A) Sextant
B) Compas azimutal
C) Instruments scientifiques
D) Graphomètre à pinnules
A) Sextant fabriqué par Mercier à Brest, avant 1785 - Epave de la Boussole (fouille 2005) - Musée de l'Histoire maritime de Nouvelle-Calédonie © Teddy Seguin
B) Compas azimutal avec sa plaque en mica, fabriqué par Gregory à Londres, avant 1785 - Epave de La Boussole (fouille 2005)
- Musée de l’Histoire maritime de Nouvelle-Calédonie © Teddy Seguin

C) Instruments scientifiques (compas à pointe sèche, pieds de roi) de l’expédition Lapérouse
- Musée de l’Histoire maritime de Nouvelle-Calédonie © Frédéric Osada Images Explorations

D) Graphomètre, instrument de mesure angulaire - Epave de La Boussole (fouille 1999) - Musée de l’Histoire maritime de Nouvelle-Calédonie © Teddy Seguin

L'armement des navires

Suivant l'exemple de Cook, ce fut deux flûtes, modestes (une quarantaine de mètres de long, autour de 500 tx de jauge) mais robustes, les PORTEFAIX et AUTRUCHE, qui furent préférées à des navires de combat. Leurs vastes cales permettaient en effet de stocker vivres et matériels nécessaires à une telle expédition. Les flûtes furent spécialement transformées (à Rochefort puis Brest) et adaptées pour ce voyage, et renommées respectivement LA BOUSSOLE et L'ASTROLABE. Les fouilles archéologiques sous-marines récentes ont d'ailleurs permis de retrouver fragments de doublage, corps de pompe, gueuses de fer ou saumons de plomb, ancres, rouets de poulie en bronze, etc., témoins de l’architecture navale du temps, tandis que cloches de bord, meules, briques de four ou chaînes de paratonnerre évoquent les conditions de vie à bord. Un grand nombre d'instruments scientifiques, parmi les plus modernes de l'époque, furent embarqués : horloges marines, chronomètres, sextants, boussoles (dont deux ayant appartenu à Cook). Des appareils moins nobles, mais tout aussi utiles, tels un "cucurbite" (ancêtre du bouilleur) pour la production d'eau douce ou un moulin à vent pour produire la farine à bord, firent également partie de l'inventaire des navires. Quelque cent cinquante ouvrages, traitant aussi bien de navigation que de science, constituaient la bibliothèque du bord. Tout ce patrimoine scientifique permettra à Lapérouse de dire "Nous avons constamment navigué avec moins d'erreurs de longitude qu'on en avait en latitude il y a dix ans lorsqu'on observait avec des octants en bois."
 
Le voyage autour du monde

Cartes, dessins et documents originaux du voyage racontent l’histoire et toutes les étapes de cette extraordinaire expédition dans le Pacifique, avec sa moisson de découvertes et d’enseignements, jusqu’à la mystérieuse disparition des deux flûtes après l’escale de Botany Bay en Australie. Les objets et spécimens découverts lors des dernières fouilles, et témoignant de l’ampleur des collectes et des échanges commerciaux effectués au cours du voyage, sont exceptionnellement réunis pour l’exposition. C’est une aventure scientifique, mais surtout humaine. La vie quotidienne à bord, dans une promiscuité et un entassement permanents, l’alimentation, les problèmes de santé et d’hygiène, la place de la vie spirituelle, sont évoqués à travers des objets du bord, des représentations, récits et évocations à taille réelle de certains espaces des navires.

Vue de l’intérieur du Port des Français - Détail d’un lavis de Blondéla, lieutenant de frégate sur L’Astrolabe
Service Historique de la Défense, département Marine - © MnM / P. Dantec
De Brest (1er août 1785) aux îles Hawaï
Après Madère (13 au 16 août 1785) (1), escale de Ténériffe (19-30 août 1785) (2), où l’astronome Monge débarque pour des raisons de santé. A cette étape de l'exposition sont expliquées les diverses méthodes de calcul des longitudes, indispensable pour situer sa position.

Pour ce faire, deux méthodes : calcul grâce aux horloges marines ou par les distances lunaires, à bord et à terre. Tente d’observatoire, quart de cercle de Langlois, lunette méridienne, Traité des Horloges marines de Berthoud, sextant, cercle de Borda, tables astronomiques, télescope, etc., évoquent les moyens de l’époque mis à la disposition de l’astronome Lepaute-Dagelet.

Courte escale à l'île de la Trinité (Brésil, 18 octobre 1785) (3).
En Amérique du Sud, escale à Sainte-Catherine (Brésil, du 6 au 19 novembre 1785) (4), passage du Cap Horn (9 février 1786) (4), puis relâche à La Conception (Chili, du 24 février au 15 mars 1786) (5) où, lors d’une fête, est utilisé le ballon emporté par Monneron. Escale du 9 au 10 avril 1786 à l'île de Pâques (Chili) (6). Celle des 28 et 29 mai à Mowée (îles Hawai, baptisées Sandwich par Cook) (7) est particulièrement émouvante, car c’est à Hawai (Kealakekua Bay) que Cook fut tué par les naturels le 14 février 1779. Des vues de scènes d’échange, tapas et calebasses montrent la nécessité de créer un rapport pacifique avec les populations rencontrées. Cela importe d’autant plus que, à chaque escale, il est vital de pouvoir approvisionner le navire de vivres frais, d’eau douce et de bois.

Route des frégates françaises LA BOUSSOLE et L'ASTROLABE lors de l'expédition autour du monde de Lapérouse - Doc Mairie d'Albi

D’Alaska en Californie
L’escale au Port des Français (aujourd’hui Lituya Bay, en Alaska), du 4 au 30 juillet 1786 (8), a pour but la négociation de peaux de loutres de mer.
Elle est dramatiquement marquée par la noyade de 21 marins lors d’une reconnaissance de l’approche de la baie le 13 juillet. Une lettre de Fleuriot de Langle et un extrait du journal original de Lapérouse évoquent cette catastrophe représentée en 1806 par L.P. Crépin dans une grande peinture d’histoire demeurée célèbre. Brosse en os, élément de harpon et d’hameçon, dent d’ours perforée, outils divers en pierre, dont un magnifique pilon en forme de tête de lamentin font partie des nombreux objets ethnographiques collectés dans la zone américaine et présentés dans cette exposition.
Plan du Port des Français, par Blondéla, 1786
Centre Historique des Archives Nationales © MnM / A. Fux

Vue du fond du Port des Français - Lavis par Duché de Vancy, juillet 1786
Service Historique de la Défense, département Marine © MnM


L’escale de Monterey (Californie) du 15 au 24 septembre 1786 (9) est, dans le cadre de l’exposition, l’occasion de montrer le travail des scientifiques polyvalents que sont les naturalistes : La Martinière, le Père Receveur (également aumônier à bord de L’Astrolabe) et Collignon, le jardinier-botaniste. Dessins de promerops, perdrix ou oursins, caisses de transport des plantes, graines de muscade, coquillage et minéraux, fioles en verre et pots en terre cuite, pilon, scalpels, épingles et pinces sont autant d’illustrations de ces activités.

Caisses pour le transport des plantes, dessins aquarellés accompagnant le mémoire de Thouin pour diriger le jardinier de l’expédition dans les travaux de son voyage autour du monde, 1785 - Centre historique des Archives Nationales © MnM / A. Fux

Promerops de la Californie septentrionale - Dessin de Prévost publié dans "Le voyage de Lapérouse" déjà cité
De Californie à Macao
Après une courte escale aux îles Mariannes le 14 décembre 1786 (10), l'expédition met le cap sur Macao (11) , où elle escale du 3 janvier au 5 février 1787. On y vend les pelleteries et Dufresne repart vers la France avec tous les documents liés au commerce des peaux de loutres de mer. Tandis que Duché de Vancy (dessinateur sur La Boussole) brosse la vue de la ville, des achats de porcelaine s’opèrent. Parmi les pièces exposées pour illustrer ce propos, est présentée de la vaisselle retrouvée lors des récentes fouilles archéologiques sous-marines : bols, bouteilles, plats, théières, plaque pour égoutter les viandes, ainsi que les éléments d’un service complet et armorié commandé par l’abbé Mongès pour sa congrégation des Génovéfains.

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