Brisons la glace ! Voyage en cargo vers la Finlande, février 2003
Mercredi 29 janvier 2003
Paris est déjà loin derrière moi, confortablement installé dans le Thalys qui file vers la Hollande. La neige a été annoncée sur la France, mais c'est la pluie et un temps bien gris que nous rencontrons la plupart du temps sur le parcours…tandis que je me délecte de quelques pages de "Méharées" de Théodore Monod, œuvre incontournable pour toute personne ayant "connu" le désert mauritanien.
C'est pourtant quelque traversée dans les glaces de la Baltique que j'espère rencontrer, cette fois, du côté de la Finlande, avec ce nouveau voyage en cargo: un vieux rêve…revenu en surface après ma toute récente "traversée" du désert de Mauritanie.

J'avais bien envisagé depuis quelques années ce type de voyage au Canada, ayant appris qu'un petit cargo (au nom évocateur d'"Arctic Express" et prenant bien sûr des passagers) ravitaillait les villages inuits à partir du Saint-Laurent, mais il fallait aussi aller là-bas en avion et en revenir…Plus récemment, l'ancien brise-glace "Sampo", reconditionné pour les touristes du côté du Golfe de Botnie, en Finlande précisément, avait retenu toute mon attention, mais vu le prix exorbitant demandé pour 4h de  promenade dans la glace (ce bateau ne circulant que le jour) j'y avais renoncé.

Alors, là encore, mon pari est hasardeux, surtout que le bateau ne va pas du côté de St Petersbourg, où je sais que la glace est au rendez-vous l'hiver: to be or not to be, this is no more the question, but "to (vers) ice or not to ice" ?

Car il faut maintenant se mettre aussi à l'anglais, nationalité du Baltic Eider oblige!

Arrivée Amsterdam. Beau temps alors que neige annoncée sur Paris.        Téléphone à l’agent de ma chambre d’hôtel (Ibis) : le bateau est déjà là ! Il repart demain dans l’après-midi : je peux venir quand je  veux, mais trop tard pour annuler la chambre ! Ai-je eu le bon interlocuteur (le dénommé mr…, agent nommée avec qui je devais prendre contact était inconnu au bureau)? M’a-t-il bien compris ?

Je rappelle une deuxième fois, histoire de demander si c’est facile pour un taxi et à quel prix : il me donne une sorte de code, en épelant chaque lettre….s’agit-il de son nom ? je n’y comprends rien mais connaîs néanmoins le prix d’une course…et puis il sait à présent dans quel hôtel je suis…au cas où…         maintenant je peux sortir, un peu plus rassuré direction le 3 mâts "Amsterdam", réplique d’un vaisseau de la Cie des Indes du 17ème ; je le vois de loin mais avec tous ces canaux cela n’a pas l’air très évident : je pourrai aussi voir le Musée maritime…assez décevant dans l’ensemble, mais je l’ai fait au pas de course (arrivé une heure avant la fermeture) et me suis même perdu dans des salles aux portes multiples…ou cachées ! le 3 mats se visite, mais il n’est pas encore fini à l’intérieur ; je peux quand même me rendre dans les appartements du château arrière, histoire de voir comment le capitaine Hornblower (mon héros ou plus exactement anti-héros pour ceux qui ne le sauraient pas) était logé : c’est très très bas de plafond !
Jeudi 30/01

Après le petit déj à 09H00, un coup d’œil par la fenêtre : horreur, il neige abondamment ! Il faut que je prenne la tangente avant qu’un taxi refuse de me conduire au Scandia Terminal qui est je ne sais où, avec ces grands ports, qui s’étendent comme des villes  …D’ailleurs le chauffeur ne sait pas lui-même puisqu’il conduit en regardant la carte.
Il ne neige plus et nous arrivons finalement assez rapidement au bateau. Il se présente par la poupe, pont-levis baissé, mais aucun doute c’est bien lui. Bien plus impressionnant que le petit Paaschburg (mon ex-feeder allemand )…ce qui n’est pas difficile pour un cargo.

Le Baltic Eider est un nom qui fleure bon la nature : il a tout de suite plu à ma chère et tendre, qui m’a donné aussitôt son feu vert pour partir !
C’est un roro anglais d’un peu plus de 150m de long, haut de coque, mais beaucoup moins que les car-carriers de la Grimaldi (et il peut ainsi recevoir éventuellement 2 rangs de conteneurs au-dessus) ; c’est mon premier navire britannique, mais après la cuisine du Paaschburg et de son cook cap-verdien, puis celle dans le désert de Mauritanie (dont le fameux sandwich aux morceaux de foie) , je ne crains plus grand-chose et le cuistot doit être soit British, soit Russe, puisqu’il s’agit d’un équipage de ces 2 nationalités.

Première surprise en arrivant à bord : je suis accueilli par une  jeunette en salopette originellement blanche ; elle me dit qu’elle est la third mate (donc, en partant du captain, cela doit correspondre au 4ème officier de pont) . Un peu plus tard, je saurai qu’il s’agit de Kitty. Elle veut prendre ma valise (qui est presque aussi grande qu’elle) alors je lui propose plutôt de me soulager du portable, car dans les couloirs et escaliers intérieurs la navigation « en bagages accompagnés » (où je ne deviens plus que l’accessoire de ceux-ci) est toujours difficile.
Elle me conduit à ma cabine et dans le couloir 2ème surprise : une autre jeune femme , en panty et accroupie, faisant une pause ! Je savais que ce bateaux faisait partie de ceux prenant des « Tatiana » pour le service du bord, mais j’imaginai plutôt une espèce de babouchka russe, or là il s’agit bien d’une jeune et agréable personne, au doux prénom de Marina…Mais il n’y aura pas d’autre présence féminine à bord, si ce n’est le portrait officiel de Sa Très Gracieuse Majestée, en bas de l’escalier menant à la salle à manger.

Et voici un ventre impressionnant, précédant un homme au physique de rugbyman qui se présente à l’entrée de la cabine : c’est le Captain  (mais c'est peut-être aussi cela ce qu'on nomme le "ventre du navire")! Il me souhaite la bienvenue, de façon très chaleureuse (rien à voir avec le Commandante du « Spes « ) !

Ma cabine n’a pas le cachet de celle du petit Paaschburg, mais elle me paraît très confortable, équipée en plus d’une vraie mini-chaîne (je trouverai au mess une collection importante de cd et de bonne musique anglaise notamment) , d’une tv-magnétoscope et d’un frigidaire. Surtout, elle face à l’avant, avec deux sabords et vue imprenable, car sur ce bateau aucun risque d’avoir un conteneur devant soi : ils sont sur deux rangs maximum et en-dessous de ce niveau.

Au dîner, à 17h30, surprise une femme : une blonde aux cheveux relativement courts, avec des yeux gris-bleu et ayant entre 50 et 60, mais ne faisant pas âgée. Le Captain nous présentent : je l’avais prise pour un officier (par ex chef mécanicien) russe..et elle croyait que j’étais un marin (philippin ?) alors qu’il s'agit de l’autre passager, une Finlandaise.
J’apprendrai par la suite que c’est une journaliste-écrivain-artiste-peintre et nous passerons pas mal de temps à discuter ensemble, en anglais of course.
Elle a quitté Helsinki depuis 10 mois pour faire un périple « tour-du-monde maritime » à bord de l’Arunbank  notamment (navire de la compagnie-sœur Bank Line) + haltes par-ci, par-là.

Vendredi 31/01

Arrivé tôt le matin à Zeebrugge, après une nuit très agitée en première partie.
Nous sommes en fond de port, avec toujours d’immenses parcs de voitures neuves et il neige. Le seul intérêt est le car-carrier juste devant nous, qui se nomme « Turandot ».
Je savais déjà que les ro-ro porte-voitures de la compagnie suédoise  Wallenius avaient chacun un nom d’opéra (le Faust, le Fidélio, etc).

Zeebrugge quitté vers 13h00.

Sur la passerelle, le pilote flamand me demande tout d’un coup en anglais si je connais un chanteur français ? Je pense n’avoir pas bien compris la question, alors je lui réponds que, oui, je suis Français. Sur quoi il me rétorque : « of course, I know you’re French ! (çà alors comment le sait-t-il ?) But do you know the singer Jo Dassin ? »
Alors je lui dis que Joe Dassin est mort depuis une vingtaine d’années… »Really ? He looks so young» me répond-il ? Son étonnement est presque aussi grand que le mien quand je réalise que c’est le Captain qui me parle ! Faut dire qu’avec ces bonnets et anoraks on confond tout le monde…mais tout bien regardé, seul le pilote a une barbe.

Dans l’après-midi sur la passerelle, j’aperçois au loin une silhouette haute, jaune et blanche, qui m’est familière : pas de doute c’est un Grimaldi ! Serait-ce un des deux que j’ai pris en 2001 et 1999 ? Comme nous le croisons (et que deux gros navires qui se croisent en mer, çà va deux fois plus vite) mon idée est faite : c’est le "Grande Mediterraneo" ! Cela fait quand même quelque chose de croiser « son propre navire » : j’immortalise  le moment par une série de photos.

Samedi 1er février

Un grand jour : c’est la 1ère fois que je prends le Canal de Kiel : environ 6 heures de parcours pour rejoindre la Mer Baltique et, par chance, ce sera de jour !
Peu après 8h du matin, avec le soleil s’il vous plait, mais une température hivernale.
Du blanc un peu partout, en fine couche, beaucoup de volatiles (canards, poules d’eau), mais un paysage uniformément plat de part et d’autre, avec routes bordées d’arbres sans feuilles de chaque côté. Le pilote m’indique que c’est dans 3 heures environ que le paysage sera différent et beau.

Finalement assez peu de bateaux croisés sur le parcours (et pas un de notre taille) ; quelques jolies maisons par-ci, par-là (le rêve : habiter comme eux à un endroit plaisant et où l’on voit passer les (gros) bateaux).
Sortie du Canal de Kiel vers 16h00, après franchissement d’une seconde écluse.

Captain Cribbs me prie de me joindre  aux officiers juste avant le dîner pour boire une beer ensemble. Damned je viens juste de finir celle de ma cabine (mon ventre peux en témoigner, mais je ne peux refuser !      Peu après, la Finlandaise vient m’informer de la même chose. J’y suis a l’heure dite, et même légèrement en retard, or plusieurs officiers mais ni captain, ni finlandaise ! Me serais-je trompé ? Et si jamais c’était dans les appartements du Master ? Mais c’est trop tard pour reculer : je suis déjà servi !
Heureusement, ils arriveront juste après, donc tout va bien et, finalement, cette seconde beer est descendue sans problème. A table !

Lundi 3 février

Arrivé vers minuit à Hanko et bien que couché, je me dresse pour regarder par le sabord : le navire tourne sur lui-même , avec un gros projecteur éclairant devant. Il semble y avoir de la glace sur l’eau un peu partout !

Levé vers 07 heures, je croise juste avant d’aller déjeuner Pirrko qui me dit qu’il y a un magnifique levé de soleil , aussi nous filons sur la passerelle juste au-dessus pour prendre la photo à ne pas rater.

Puis, juste après le breakfast, nous filons dans un taxi car il faut être de retour vers 09h30 (même si le captain nous a dit OK jusqu’à 09h50) pour voir quelque beau coin de Hanko que Pirrko connaît très bien pour y avoir passé son enfance.

Le sol est gelé et enneigé et Il fait un froid de canard (qui doivent être eux bien au chaud), surtout près du bord de mer, où souffle un vent glacial à rendre jaloux le mistral .
Mais la visite à pied vaut le détour car de ce côté-ci les maisons en bois de différentes couleurs sont superbes. Pirrko connaît presque chacune d’elle et a vécu, le temps des vacances, dans celle-ci et dans celle-là lorsqu’elle était petite.

Le taxi nous retrouve à l’heure dite et je n’ai même pas le temps de faire une photo du bateau sur le quai : on n’attend plus que nous ! Mais il est 09h30 : rien à se reprocher.

Soir à Helsinki

Je partage le taxi de mon amie Pirrko (l’équivalent de Brigitte,), qui m’a fait un petit plan des endroits où me rendre pour cette deuxième escale finlandaise. Je descend, mais c’est elle qui débarque ici, retrouvant son home après dix moins d’absence, notamment maritime, non sans amertume d’être à nouveau ici. Le travail bien sûr, même si elle travaille chez elle, amis aussi parce qu’elle n’a cessé de me dire que la qualité de vie en Finlande et à Helsinki notamment, ce n’est plus du tout ce que c’était.
Elle me dit aussi que l’eau de ce côté-ci de la Baltique est polluée, qu’on construit partout là où la vue sur le littoral était imprenable. Quant aux Finlandais, voici sa définition : excessifs et se dépassant en tout, alcool comme exploits sportifs (d’où ces champions automobiles).

C’est une pure, une écologiste dans l’âme, une femme de caractère aussi et avec qui j’ai réellement sympathisé. D’ailleurs, elle m’a fait cadeau de son dictionnaire  Français-Anglais, acheté pendant son périple, dont une partie se déroulait à bord du Latour, porte-conteneur de la CMA-CGM..avec Commandant allemand (exécrable paraît-il, incroyant au point de ne rien faire à bord pour Noël, y compris pour son équipage philippin ..et ses deux malheureux passagers). On ne dira jamais assez combien le Commandant d’un navire, c’est lui qui fait que le voyage est un plaisir réel ou une transition. 

Helsinki by night  à moins x degrés en février, même s’il n’est que 19H un lundi, ce n’est pas ce qu’il y a de mieux.  Tout est fermé à part les bar-resto et il fait un froid sibérien.

Mardi 4 février

Nous sommes  partis tard dans la nuit et j’ai l’impression que le Baltic  Eider avance assez vite, mais un coup d’œil par la fenêtre me démontre qu’il n’en est rien : une mer de glace, encore plus compacte qu’hier, dans laquelle le navire avance vaille que vaille.
Au loin, plusieurs navires (plus petits que nous) presque regroupés dans cette immensité blanc argent : on me dit qu’ils sont immobilisés par la glace !
Je fais quelques photos dehors, à l’arrière du navire et j’aperçois soudain un petit porte-conteneur allemand de la Team Line, complètement bloqué devant nous .
C’est vraiment irréel de voir cela !  En fait, le Baltic Eider passe juste à côté de lui, afin que celui-ci puisse enfin trouver un chenal soudain dégagé et en profiter : assistance des navires entre eux ! Le Baltic Eider est finalement, en cet endroit du Golfe de Finlande le sauveur de quelques uns de ces plus petits navires, car un second petit porte-conteneur de  Team Line profitera peu de temps après du même chenal providentiel que nous sommes.

Arrivée près d’Hamina ; on aperçoit même au loin une ou deux voitures …sur la mer gelée.
Il fait tellement froid que j’ai décidé de mettre 4 paires de chaussettes (dont 2 très fines certes) pour aller en ville cet après-midi.

Un épais givre recouvre mes deux sabords.. Il fait moins 17 dehors (minus seventeen) …et il paraît que c’est un hiver normal, dixit le Pilote !

Peu de chose à voir à Hamina, le temps s’y prêtant d ‘ailleurs peu, donc uniquement shopping, en notant que les Finlandais sont fous de réglisse: il y en a en vente sur des rayons entiers, de toutes sortes…et celui fourré à la menthe, entre autres, est excellent. 

De retour au bateau : toujours cette épaisse couche de givre  sur mes sabords !
17h40, il est temps d’aller manger, mais on frappe à ma porte : le Captain , qui a revêtu ses plus beaux galons, m’annonce que c’est la dernière fois qu’il est à Hamina et me prie de me joindre aux officiers devant une bière…Of course !

Ils sont tous là, sauf ceux de permanence bien sûr, donc sans doute la jeune Kitty, qui de toute façon n’apprécie pas je crois ces rendez-vous masculins…
L’ambiance est excellente au bar des officiers, puis soudain, une apparition : c’est la « first lady «  du bord, la femme russe du Captain, en personne ! Je ne m’attendais pas à la voir là, surtout qu’elle fait relativement jeune, mais pas du tout russe, plutôt sud-américaine avec ses longs cheveux noir ondulés ! A mon étonnement elle m’avouera s’être teint les cheveux, étant plutôt châtain… J’ai entendu aussi , la veille ou l’avant-veille, par une source bien informée mais p-être  pas tout à fait objective que le captain l’avait rencontrée dans un night-club…En tout cas elle est plutôt sympa..et le captain est aux anges ! Mais voilà t’y pas qu’une deuxième tournée est lancée : je refuse, mais the Master do insist ! A ma question il m’annonce qu’il va changer de navire et se retrouver en Australie sur le City of London. Ca change quand même en mieux !

Alors je me dis que si je recommande ce voyage à mes amis, que sera t’il sans le captain Cribbs ? C’est vraiment le plus chaleureux (pince sans rire) avec qui j’ai navigué.

Nous gagnons la table assez tardivement : damned ! du vin blanc et du vin rouge, alors qu’en plus je ramène mon verre de bière !
Un dîner plein de bonne humeur, le Captain passant son temps à courtiser sa belle, à lancer à l’un ou l’autre, successivement, des œillades et clins d’œils complices, selon les propos gentiment échangés, ponctué de mots français appris à l’école (meurci beaucoup, jai  vous en prie, etc etc)…Sa femme semble très intéressée par la température qu’il fait à Paris, me questionnant souvent à ce sujet, par mois, par saison…
La dernière fois que j’ai connu une si bonne humeur à bord d’un cargo, c’était sur le Ville de Virgo, en route vers Singapour ou Hong Kong, fin 1998… mais c’était pour le réveillon du 24 décembre.

Mercredi 5 février

Finalement, le départ prévu ce matin vers 6h n’aura pas lieu avant demain, vers 5h !
Il paraît que c’est toujours comme cela à Hamina…

Journée à bord, car çà ne vaut pas le coup de reprendre un taxi pour aller en ville..d’autant qu’il neige …Je ferai juste quelques photos du bateau le long du quai.
Un peu de discussion avec Marina, tandis qu’elle fait ma cabine : elle est sur les navires depuis une quizaine d’années d’après ce que je comprends, ce qui fait qu’elle a dû commencer très très jeune, car elle n’est vraiment pas vieille. Elle est originaire de Moscou et passe 4 mois à bord et 4 mois chez elle. Elle me dit son regret que le Captain Cribbs et d’autres quittent ce navire et elle envisage de demander son changement pour le suivre.

Elle connaît un tout petit peu Marseille « a very beautiful place », ayant travaillé à bord du Baltic Eagle (autre navire de la compagnie, vendu depuis) qui passait par là.
Un coup d’œil à la vidéothèque du bord : une quantité impressionnante de k7 et quelques dvd..hélas tout en anglais sans sous-titres en français : sur ces dvd on peut avoir du grec et même du turc, mais pas de français ! Je trouve néanmoins une perle inestimable, car introuvable en France : la k7 du film Waterloo, super-production des années 70, l’un de mes films culte ! Tant pis : sur ce bateau anglais, je prendrai néanmoins un immense plaisir à revoir ce film monumental, même s’il s’appelle  Waterloo et même si Napoléon, remarquablement joué par Rod Steiger, parle en anglais !
Juste au moment d’aller dîner, le bateau se met à trembler : la machine est en route ?
Bizarre…Je me rends à la passerelle, où il y a bien du monde : mais oui, nous partons !
C’est dommage pour moi car cela fait plus de 10 h « d’avance »  et de nuit, donc je ne verrai plus demain matin ce spectacle saisissant du navire frayant son chemin dans cette mer de glace !

Il pleut et vente assez fort dehors et c’est même une pluie horizontale, que l’on voit bien dans la lumière des 2projecteurs braqués sur l’avant. C’est la première fois que je vois un navire faire sa route au projecteur, mais il s’agit de bien apercevoir la glace dans laquelle nous nous engageons.

Jeudi 6 février

Réveil à 7h00 et un coup d’œil au sabord au-dessus de ma couchette : nous naviguons toujours sur une mer blanche !

J’avais demandé hier soir à Kitty si elle pensait que ce serait toujours le cas , or elle m’avait répondu que non. Je la retrouve après le breakfast sur la passerelle, où elle est de quart et elle me montre que nous sommes bien toujours dans le Golfe de Finlande, d’ailleurs à peine au-dessus et au large de Hanko, notre première escale finlandaise, malgré que nous filions près de 15 nœuds. La glace apparaît beaucoup plus mince ici et c’est cette nuit, dans la partie la plus gelée du Golfe que nous avons dû avancer à petite vitesse.

Je paye mon pot le soir avant le dîner, car demain c’est peut-être le dernier soir du Captain et il voudra sans doute payer sa tournée, alors je ne veux pas manquer mon tour. C’est l’occasion de montrer « mes bateaux » avec l’ordinateur et bien m’en a pris car l’un des officiers (un Ecossais) me propose de me prêter ses revues de bateaux et au retour du dîner je trouverai devant ma cabine une pile impressionnante de revues pour shiplover !

Le Captain est très sensible à mon geste et me dit que çà a été un plaisir de m’avoir comme passager ; puis il signale à sa belle que c’est my « girl friend » qui m’a tricoté mon pull…et lui demande si elle va lui en tricoter un… Sa réponse n’apparaîtra pas convaincante, mais j’imagine qu’elle ne veut pas avoir à acheter tout un magasin de pelotes…
Au programme ce soir dans ma cabine, un dvd acheté exprès pour mon portable : « 2010, l’année du 1er contact ». Eh oui, c’est bien la suite de 2001, l’odyssée de l’espace. Ce n’est plus Stanley Kubrick qui l’a fait, mais l’on y retrouve la même musique de Strauss (« Ainsi parlait Zarathoustra ») et le même vaisseau spatial abandonné mystérieusement du côté de Jupiter,…avec son super-ordinateur criminel « Hal ». Etonnant !

Vendredi 7 février

Coup d’œil habituel au sabord en me levant et, surprise, nous sommes toujours en mer alors que j’avais compris que nous devrions être du côté du Canal de Kiel.
Renseignement pris , nous n’y arriverons en fait qu’en début de soirée…
Ce sera juste au moment du dîner, mais il fait déjà nuit.

Un autre cargo (réfrigéré, c.a.d. ,pour les béotiens , non pas transi mais spécialisé dans le transport des fruits) est déjà dans l’écluse et il faut vraiment manœuvrer au mètre près pour y entrer et ne pas pour autant le tamponner.
Sur la passerelle, occupée par 2 pilotes allemands, dont un prendra la barre durant la navigation de nuit sur le Canal, Kitty propose au Captain une tasse de thé, ce a quoi il répond, avec son flegme habituel : « oh yes, a cup of tea would be most appreciate » !

Samedi 8 février

A peine quelques minutes après l’alarme de mon réveil, un coup de sirène, puis un autre…

Je regarde par mon sabord habituel : il fait encore nuit mais il y a un brouillard à couper au couteau. Serions nous déjà en Angleterre ? Of course que non, mais on n’aperçoit même pas le feu du mat à l’avant du navire, aussi le Baltic Eider doit-il user de la corne de brume pour prévenir tout autre navire ou embarcation. Une autre sirène lui répond d’ailleurs et j’aperçoit vaguement une silhouette éclairée de tout son long (sans doute un ferry) croisée à bâbord. Bien sûr nous avons le radar, mais le brouillard rend néanmoins très dangereux la navigation.
Nous avons quitté le Canal de Kiel vers 04h00 du matin paraît-il et sommes, à 08h30, peu après au-dessous de l’île d’Helgoland (Germany).

Arrivée prévue à Felixstowe  à minuit ! Quand je pense que normalement j’aurais dû débarquer hier à Zeebrugge, or a priori ce ne sera pas avant lundi, dans la journée…au mieux !

Dimanche 9 février

Journée à Felixstowe, un port à conteneur au sud de l’Angleterre, qui ne présente pas un grand intérêt. Je me rends à la Seamen House, car ce n’est pas du tout loin à pied, mais je me perds rapidement et il n’y a pas grand monde un dimanche pour me renseigner. Finalement, ayant bifurqué dans une direction opposée, je me fais aimablement conduire en voiture par un agent du port. La maison des gens de mer, « foyer du marin » en quelque sorte offre tout le confort pour le bien-être du « marin perdu » de passage, et d’ailleurs on m’y offre même un café…et deux pièces anglaises, en souvenir ! Mais moi j’y cherche quelque souvenir maritime pour shiplover et là rien de rien ! Et puis je me dis…qu’ils ont dû me prendre pour un marin philippin !

Pendant le déjeuner, le Chef Mécanicien (en anglais, c’est « Chief Engineer » et çà sonne mieux) me propose une place dans sa voiture pour faire quelque shopping (réduit car tout est fermé le dimanche) en ville, car hors le port, Felixstowe est une petite station balnéaire. Sa Vauxhall (une des marques british rescapées  et que je croyais même disparue ou avalée par Ford…ou les Japonais) est au pied du bateau et nous conduit, à gauche toute, par un sinistre temps pluvieux typiquement british. Une allée centrale, bordée de boutiques, dont un nombre impressionnant de « Cards and gifts shops ». Le « Chef » est, comme chacun sait, le deuxième plus gradé du bord (4 barrettes comme le Captain) et celui du Baltic Eider m’avait toujours impressionné par ses tatouages le long de ses 2 membres supérieurs, du reste pas en accord avec son physique et le fait qu’il parle toujours avec discrétion. Il trouve son bonheur en achetant des petits pains et un sachet monstrueux de réserves de chips (très appréciable avec la bière me dit-il)..ainsi que du dissolvant à ongle pour Marina, qui n’a pas pu venir avec nous, comme prévu initialement. Il faut dire qu’elle a eu à nettoyer les appartements du Captain, or celui-ci étant sur la ligne depuis 10 ans… 
De retour au bateau, nous croisons le Captain et son épouse St Peter bourgeoise dans l’ascenseur : cette fois c’est le départ, malgré déjà deux adieux au breakfast et au lunch. « All the best » pour chacun, c’est la formule consacrée.

Et de retour dans ma cabine, j’entends un coup de sirène du bateau : je réalise que c’est le Baltic Eider qui salue celui qui fut son plus fidèle capitaine…
A la fin du dîner, arrive le nouveau Captain, plus jeune a priori, barbu et déjà bien ventru, qui me salue fort chaleureusement à son tour : il me fait donc une très bonne impression.
Nous quittons Felixstowe vers 20h30 et dans l’obscurité de la passerelle, j’ai l’impression que le nouveau Captain mène le bateau de façon alerte, car à plusieurs reprises nous nous retrouvons avec les feux d’un navire nous coupant la route par tribord...sans rien changer à notre cap, pendant un bon moment. Ce n’est bien sûr qu’une impression et le radar est d’ailleurs suffisamment sophistiqué pour indiquer « l’heure estimée de la collision ».
Sur la carte, je repère l’inscription au crayon : « wreck of Tricolor » : nous passons, de fait, pas très loin de l’épave flottante de ce car-carrier aux 3.000 voitures de luxe englouties (à tel point que j’ai même pris les feux clignotants et  multicolores de la vedette venant rechercher le pilote pour une balise active de l’épave).

lundi 10 février

Je devrais être au boulot ce matin…et je suis donc toujours là ! J’ai mal dormi, car nous sommes arrivés vers 23h30 et je m’étais couché assez tôt, réveillé vers 04h00 par un cauchemar…et aussi stressé par le fait que je ne sais pas quand le navire va partir.
Car il ne s’agit pas, cette fois, de manquer mon débarquement !
Je me retrouve seul au breakfast, ce qui me permet de donner un bon pourboire bien mérité à Marina : elle est visiblement très touchée est émue...puis reviens quelques minutes après pour me donner un porte-clé-poupée russe, afin de me témoigner à son tour sa reconnaissance. C’est les adieux et je mets un mot dans le bureau pour remercier et saluer tous ceux pour qui je n’ai pu le faire de vive voix .

Me voilà au pont principal inférieur, avec ma grosse valise rouge (très pratique le rouge sur les tapis d’aéroports, mais ici…) e t, horreur, le pont-levis est remonté, alors qu’il était encore ouvert il y a quelques minutes ! Je suis prisonnier, je repars avec le bateau !
En fait, on m’informe que nous changeons juste de quai, alors ce sera un bonus pour moi : près d’une heure de plus sur la passerelle. En plus, grâce à ce contretemps, je retrouve mon écharpe en poil de chameau dans la cabine !

Cette fois la rampe est à nouveau à l’horizontal et il ne s’agit plus que de commander un taxi.  
Le second, de permanence à l'entrée du bateau m'indique que c'est la jeune personne présente et responsable de liaison avec le port qui va s'en charger, mais ses appels n'aboutissent pas… Elle finit par me demander de la suivre dans sa voiture, pour m'amener aux locaux à l'entrée du port, où là un taxi sera à nouveau recherché, mais une fois à bord, lorsqu'elle apprend par moi-même que je suis un passager, cela la contrarie beaucoup…n'ayant semble-t-il pas été déclaré sur la liste remise aux autorités portuaires. Elle retournera un certain temps au bateau, afin d'obtenir une liste en règle, puis le taxi sera là au moment où nous arriverons.

C'est mon deuxième débarquement à Zeebrugge (le premier, en descendant de mon cher et historique paquebot de croisière Mermoz…mais cette fois l'ami Pascal (autre membre illustre du cargo-club de l’ïle St Louis à Paris) n'est pas là pour m'accueillir: ce sera peut-être pour une autre fois, dans un autre port (d'autant qu'en ce moment, après avoir embarqué au Havre sur le "bananier" "Douce France" il se dore la pilule aux Antilles…
 
NDLR : en 2004 le BALTIC EIDER a été racheté par la compagnie française CNN, il a été renommé MN EIDER. Visite complète ici.
 

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