L’expédition d’Entrecasteaux |
Cependant, en dépit des difficultés politiques qui ébranlent la France, après trois ans
sans nouvelles de l'expédition et à la demande du Roi et
de plusieurs sociétés savantes, l’Assemblée
nationale ordonne, au début de l’année 1791, l’organisation d’une expédition de recherche, mais aussi «utile
et avantageuse à la navigation, à la
géographie, au commerce, aux arts et aux
sciences.» Claret de Fleurieu, qui avait largement participé à la préparation de l'expédition Lapérouse, se charge de nouveau de la préparation de cette expédition de secours. dont le commandement est
confié au contre-amiral Joseph-Antoine Bruny d’Entrecasteaux. Deux gabarres, LA TRUITE et LA DURANCE, sont aménagées et rebaptisées LA RECHERCHE et L'ESPERANCE. Elles appareillent de Brest le 29 septembre 1791. À bord, l’hydrographe Beautemps-Beaupré met au point une nouvelle technique de levée de cartes marines.
LA RECHERCHE et L'ESPERANCE -
Peinture Frédéric Roux
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Ce voyage fut malheureusement un rendez-vous manqué.
Les commandants d'Entrecasteaux, Huon de Kermadec et Hesmivy d'Auribeau mourront de maladie au cours de l'expédition. Epuisés, décimés par les fièvres, la dysenterie
et le scorbut, les hommes de LA RECHERCHE et de L'ESPERANCE voient dans un grand éloignement une île qu’ils nomment La Recherche... en fait, Vanikoro, «découverte
et perdue» où (on l’apprendra plus tard)
résident deux survivants de l’expédition
malheureuse. Cette quête infructueuse ne
fit que renforcer le mystère qui se construisit autour de la disparition de Jean-François de Galaup de Lapérouse, commandant LA BOUSSOLE entre 1785 et 1788.
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En 1797, la publication du «Voyage de
Lapérouse autour du monde», en quatre
volumes de textes et un volume de planches, à partir des documents rapportés par
Lesseps, met en lumière les résultats réunis
par le chef d’expédition et contribue à la
création d’un véritable mythe autour du
navigateur disparu, acteur malheureux mais
héroïque de l’histoire maritime de la France. |
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Lapérouse, buste en marbre
par François Rude, 1828
Musée national de la Marine © MnM / P. Dantec
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Un aventurier des mers du sud
Le mystère s’épaissit alors que des récits
circulent au sujet d’éventuels survivants du
naufrage. Il n’est levé qu’en 1827, lorsque Peter Dillon, capitaine irlandais familier
du Pacifique, localise avec certitude le lieu
du naufrage. Il recueille des témoignages
oraux, réalise une enquête minutieuse et
achète une quantité importante d’objets
français confirmant les naufrages.
L’exposition présente les deux morceaux
d’une garde d’épée en argent trouvés à Tikopia (photo ci-ontre), premiers indices qui mettent
Dillon sur la voie de Vanikoro. |
Plateau et fusée de monture
d’épée collectés par Peter Dillon
à Tikopia le 13 mai 1826
et le 6 septembre 1827
Musée national de la Marine © MnM / A. Fux |
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Décor de poupe de LA BOUSSOLE, remonté par Peter Dillon |
L’expédition Dumont d’Urville
Quarante ans après le naufrage, Dumont
d’Urville localise, le
26 février 1828, l’une des épaves, qui s'avèrera être L"ASTROLABE. Il collecte des vestiges
dans les fonds sous-marins : «J’envoyais la
chaloupe relever au moins une ancre
et un canon, comme preuves irréfutables
du naufrage de nos infortunés compatriotes.»
Mais, le nombre des malades et des gens indisponibles lui imposa "de se rendre par
le plus court chemin dans quelque port habité
par les Européens". Il prit cependant le
temps d’ériger un cénotaphe à la mémoire
des marins disparus, en baie de Manévaï. |
Vanikoro, une île inconnue |
Minuscule île de l’archipel des Santa Cruz dans
le sud des îles Salomon en Océanie, Vanikoro
la mystérieuse, redoutable par son climat,
a toujours une fort mauvaise réputation.
Il y pleut quasi en permanence, tantôt une
puissante pluie tropicale, tantôt un fin crachin.
Chaleur constante, grande humidité, c’est
un paradis pour les moustiques. Ilot volcanique
entouré de récifs sur lesquels vient se briser
la mer, des plages de sables noir, une mangrove
impénétrable hantée par les caïmans,
surplombée des pics couverts de kaoris (dont le bois servait à construire des pirogues). «Le climat est malsain, même pour les naturels
qui sont couverts d’ulcères et souvent
malades… Il est mortel pour les Européens.» (...)
C’est «l'île maléfique». Aujourd’hui encore, elle demeure sans électricité, ni adduction d’eau, ni routes.
La projection d’images (réalisées par
Atom Production), sur le parcours de l'exposition, permet de ressentir
l’atmosphère de Vanikoro et d’imaginer
les difficiles conditions de vie des survivants
du naufrage dans un camp à terre. |
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Plan des îles Vanikoro (ou de
Lapérouse), extrait de l’Atlas du voyage
de la corvette L’Astrolabe par
J. Dumont d’Urville
(1826 -1829), publié en 1833
Musée national de la
Marine © MnM / P. Dantec |
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Le développement du mythe
Après la Révolution, l’image ternie du
Roi mérite d’être réhabilitée. Lapérouse
fait partie des figures emblématiques
choisies par la Restauration pour attester
des ambitions de Louis XVI pour la France.
Il faut souligner l'extrême difficulté de retrouver le lieu
d’un naufrage en plein Pacifique avec
les moyens de l’époque. Les vestiges rapportés
par Dillon sont remis solennellement
au roi Charles X en 1829.
Ils sont confiés au musée de la Marine
qui les expose sur un obélisque
dans une salle spécialement dédiée à Lapérouse. Le tableau de Monsiau «Louis XVI donnant des instructions à Lapérouse, 26 juin 1785»
peint à la demande de Louis XVIII en 1817,
une reconstitution épurée du monument
commémoratif composé des objets
rapportés en 1829, une abondante
littérature (gazettes ou journaux de
l’époque, pièces de théâtre, poèmes, tant
en France qu’en Angleterre), etc. entretiennent
la mémoire de ce tragique épisode.
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Les recherches de l’ère moderne
Il faut attendre la fin des années 1950
pour que l’on s’intéresse à nouveau à Vanikoro, grâce à l’action d’Haroun
Tazieff, puis de la Marine nationale.
Le Néo-Zélandais Reece Discombe retrouve
les ilots découverts par Peter Dillon.
Il pilote la mission française dans laquelle
figure le chef du service historique de
la Marine, l’amiral de Brossard, à bord
de LA DUNKERQUOISE. Rapport de fouilles,
plaque d’autel du Père Receveur,
cloche, quart de cercle rappellent cette
fouille de 1964. Toutes ces missions
sont le point de départ des expéditions
archéologiques, organisées par l’Association
Salomon (président Alain Conan) basée à Nouméa, à partir de
1981 et jusqu’en 2005. La ténacité et le
travail inlassable de cette équipe passionnée
ont aujourd’hui porté leurs fruits.
La collaboration avec des chercheurs
australiens du Queensland Museum de
Brisbane, puis le concours du Département
des recherches archéologiques
subaquatiques et sous-marines (DRASSM, directeur Michel L'Hour, ingénieur d'études Elisabeth Veyrat) du ministère
de la Culture et de la Communication
ont permis une programmation
scientifique des fouilles, l’étude et la
conservation de tous ces objets collectés.
Une aide est également apportée par l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD). On a retrouvé, en 1999, les restes du camp établi à terre par les survivants du naufrage (site connu sous le nom de "Paiou"). Les deux épaves ont été formellement identifiées lors de la campagne de 2005. Et ce, grâce à un sextant retrouvé sur l'épave de la faille et portant l'inscription : "Fait par le Sieur Mercier", et faisant partie de l'inventaire des instruments embarqués sur la BOUSSOLE. Les survivants du site de Paiou étaient probablement à bord de L'ASTROLABE car celle-ci a coulé à faible profondeur, contrairement au navire amiral. |
Archéologie moderne
en mer et à terre
Les trois sites sont présentés dans l'exposition : celui de la faille où gît l’épave de LA BOUSSOLE, celui de la
fausse-passe où L’ASTROLABE s’est échouée et
le site terrestre appelé Camp des Français.
Ce camp est évoqué par un diorama et des
pièces émouvantes recueillies à terre tels
un «pied de roi», un canon de méridienne, une pile à godets, des boutons d’uniformes, un élément
de quart de cercle, etc. témoignant de la vie à terre des membres rescapés de l’expédition.
Une vitrine met en valeur le mobilier
archéologique particulièrement exceptionnel :
plat armorié, sablier, sextant de Mercier,
compas azimutal de Gregory et des objets
personnels des membres de l’expédition.
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Sablier en verre, épave
de La Boussole, fouille 2005 -
Musée de l’Histoire maritime de
Nouvelle-Calédonie © Teddy Seguin |
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Vestiges de l’équipement
des troupes chargées de
la protection
de l’expédition
Lapérouse -
Musée de l’Histoire maritime
de Nouvelle-Calédonie © Frédéric Osada
/ Images Explorations |
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Pile à godets, poids
de balance de précision, épave
de La Boussole, fouille 1999 -
Musée de l’Histoire maritime de
Nouvelle-Calédonie © Teddy Seguin |
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Reconstitution de la faille
Grâce aux saisissantes images réalisées
au fil des trois dernières campagnes
de fouilles par Yves Bourgeois (ATOM
Production), les visiteurs de l'exposition sont projetés au cœur
des recherches avec les archéologues,
sur les différents sites de Vanikoro.
Cependant de nombreuses interrogations
demeurent : que sont devenus les marins
du Camp des Français ? Ont-ils réussi à quitter l’île à bord d’embarcations
de fortune, comme le suggère la tradition
orale ? Sont-ils tous morts à Vanikoro, massacrés par les indigènes ?
Parviendra-t-on un jour à identifier
le squelette complet retrouvé en 2003
dans la faille ? Celui d'un homme d'une trentaine d'années.
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L'un des objectifs majeurs de la mission 2008 est l'exploration du château arrière de LA BOUSSOLE, probable témoin le plus complet de la vie à bord des officiers et des scientifiques. Aura t-on accès à la cabine de Lapérouse, profondément enfouie dans le corail, la flûte ayant coulé par la poupe ? Un autre objectif est de tenter de comprendre ce qu'il a pu advenir des survivants au naufrage et d'évenuellement découvrir, à terre, un lieu où ils auraient volontairement enterré des documents et instruments (de navigation et de découvertes scientifiques), avant de peut-être monter à bord d'une embarcation de fortune pour rejoindre un coin de terre moins inhospitalier... Retrouvera t-on des descendants des survivants ? Il existe, rappelle Alain Conan, sur l'Ile de l'Amirauté, une famille qui se dit descendre du chirurgien de L'ASTROLABE, le "chirurgien ordinaire de la marine, M. LAVAUX (né en 1757)" comme l'indique le rôle d'équipage. |
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