En 1980 je suis envoyé, avec mon camarade Chef mécanicien Jean-Yves Demeillat, en mission d'observation à bord du "Changi Star". C'est un pétrolier Aframax récent de 92 000 tonnes, construit à La Ciotat en 1975, sous pavillon mauritien, qui vient d'être acheté à un armateur allemand. Nous embarquons à Suez, le bateau revient du golfe. Le voyage en taxi du Caire à Suez, de nuit, est affreux. Nous pétons de trouille pendant tout le trajet. La route est à quatre voies, mais par endroits deux voies sont fermées par des fûts remplis de cailloux, sans aucune signalisation. Il faut alors rejoindre les deux autres voies en traversant la bande centrale large de plusieurs dizaines de mètres, faite de sable et de débris de construction. Les croisements se font souvent plein phares et je me demande comment le chauffeur garde le cap. Mais on arrive sains et saufs. Après les interminables formalités de douane et immigration nous sommes accueillis par un commandant polonais jeune et sympathique. Les officiers sont tous polonais, l'équipage chinois de Singapour. La bateau va décharger à Hambourg où nous débarquons. Il va ensuite à Lisbonne pour inspection à sec, avant de conclure la vente, et l'équipage français embarque.
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Le bateau est dans un état général correct, avec deux gros défauts quand même, une télécommande du moteur très capricieuse, et une chaudière très difficile à allumer. Nous arriverons à réparer la télécommande pneumatique en changeant pas mal de joints minuscules, travail minutieux et délicat. Il a souffert aussi d'un affrètement avec Koweit, pour transporter du naphta. Ce produit est aussi transparent que de l'eau, mais assez agressif pour la tôle. Les fonds de citernes contiennent des dizaines de tonnes de rouille sous forme de plaques comme des ardoises qui forment un mille feuilles. |
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Il reste un voyage à faire pour terminer cet affrètement, notre premier chargement sera donc Koweit, mais nous ne retournerons plus au golfe persique après cela. La taille du navire le désigne plutôt pour la côte d'Afrique et les USA.

Changement de pavillon en cale sèche à Lisbonne. Pas de discours. |

Adieu au Cdt polonais |
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L'état major du premier voyage |
Au terme de ce premier voyage aller, je débarque à Koweit pour congés. Mais je vais rester à terre plus longtemps que prévu à cause d'un intermède médical malheureux.
Débarqué avec une lombalgie, je souffre ensuite d'une sciatique extrêmement douloureuse. On m'opère d'un hernie discale et trois jours après je suis sur pieds. Mais seulement en sursis, quand je rentre chez moi après une semaine, je ne peux pas me tenir debout, ni même assis, à cause de violentes douleurs. Après deux jours couché, pas d'amélioration, je retourne à l'hôpital et le chirurgien décide de rouvrir pour voir ce qui se passe. Une semaine d'examens divers pour trouver, j'ai tout simplement attrapé un staphylocoque qui me grignote la vertèbre. Il faut deux mois de penicilline, allongé avec un corset pour me retrouver enfin opérationnel. Je retrouve le Touraine à Edimbourg. |
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Rocher du Diamant (Martinique) |

Maracaibo |
Combinaison de survie Helly Hansen.
Cet équipement était nouveau pour nous, bien supérieur à la combinaison Rigolet, beaucoup plus chère sans doute. Les bottes et gants permettent de se déplacer normalement et de faire certaines tâches manuelles. J'ai profité d'un séjour sur rade pour en faire la démonstration. J'ai sauté à l'eau depuis le pont, environ 7 m, la vessie s'est gonflée en une fraction de seconde et je me suis retrouvé flottant confortablement sur le dos, la tête soutenue hors de l'eau. J'ai eu juste les cheveux un peu mouillés.
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Nous avons fait plusieurs chargements à Puerto La Cruz (Venezuela), une belle rade. Au mouillage en attente, nous avons un jour assisté à l'arrivée du voilier école "Simon Bolivar", accueilli par les lances incendie des remorqueurs. Lors d'une autre attente su rade il s'est passé une aventure peu banale. J'avais autorisé le Second et un lieutenant à faire du bateau stop pour aller passer l'après midi à terre, en emportant un talkie-walkie. En début de soirée le Second appelle pour dire "on n'a pas trouvé de bateau pour revenir, on passe la nuit ici et on sera de retour avant midi". Le lendemain matin en effet nous sommes accostés par un beau voilier de 15 m, qui nous ramène les permissionnaires. Les propriétaires sont des français et ont hébergé pour la nuit nos deux lascars, en retour je les invite à déjeuner avec nous, ce qu'ils acceptent avec enthousiasme. Il se trouve que notre état-major compte plusieurs voileux, dont moi, |
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du coup nos hôtes nous invitent à faire une balade à bord de leur voilier. Nous sautons sur l'occasion de faire deux ou trois heures de voile, les propriétaires n'avaient jamais vu leur bateau marcher comme ça, avec tout dessus. Quels bons moments pour tout le monde, et quelle chance que cette petite attente sur rade. La façon dont les permissionnaires avaient trouvé cet hébergement n'est pas banale. Ils flânaient vers le port de plaisance, se demandant comment passer la nuit, quand ils ont entendu les gens qui marchaient devant eux siffloter "La digue du cul". Ce ne pouvait être que des Français et ils les ont accosté, et ont sympathisé... |
Les chargements au Venezuela étaient en général destinés aux ports américains du golfe du Mexique. Le Touraine avait la taille maximum pour accéder à Beaumont ou Lake Charles. D'ailleurs pour monter à Beaumont il fallait passer sous un pont, avec 3 pieds sous la quille et 3 pieds au dessus du mât. Quand on approchait du pont c'était un peu l'angoisse, et le pilote demandait "You are sure about your air draft ? ", "Yes, no problem" mais on serrait un peu les fesses. Je m'amusais à monter en haut du mât et au passage je pouvais toucher le tablier du pont. Après déchargement il fallait "beacher" dans la berge molle pour éviter, et partir avec le même tirant d'eau qu'à l'arrivée, donc un ballast important, mais là pas d'angoisse, on pouvait lire les tirants d'eau avant d'appareiller. |
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Touraine 251,39 x 35,49 x 19,38 - TE 14,55 - JB 47 525 - TPL 92 145 - P 14 932 kW (Sulzer 7RND90) - 14 nds
Renommé Point Armour en 85 puis de nouveau Touraine en 88, il quittera la SFTP en 90 pour devenir Bromsgaard Star, puis Alliance One en 92, Golden Fish, puis enfin Kingfisher en 93. C'est sous ce nom qu'il finit sa carrière en 2000, perte totale, dont je ne connais pas les circonstances. |
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