Jacques Draoulec
— Voici deux photos de remorqueurs américains sur lesquels
je me pose des questions. Et d'abord, pourquoi les passerelles sont-elles
"inclinées" ? Par ailleurs, ce type de remorqueurs
U.S. n'a pas de croc de remorquage. D'ailleurs une série
de ST, rachetés par une Compagnie Française, avaient
été modifiés (on leur avait rajouté
un croc de remorquage). Cette méthode aurait-elle une incidence
sur l'équilibre du remorqueur en manœuvre de remorquage.
Je me suis rendu compte que plusieurs de ces unités ont subi
des avaries avec perte d'hommes (je pose cette question, car à
l'époque, nous avons subi cette mauvaise expérience
et failli couler... j'expliquerai plus tard cette expérience
en détail). |
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André Le Nay — Ce
que vous appelez "l'inclinaison" correspond en fait
à la tonture. Il s'agit
d'un mode de construction navale très répandu qui
permet, sur les navires à pont continu, de mieux les "défendre"
contre la mer en relevant significativement leur avant. La "pente"
ainsi générée par la tonture, outre un aspect
esthétique du meilleur effet, permet surtout d'améliorer
l'évacuation de l'eau qui aurait malgré tout embarqué
sur le pont, tout comme la courbure transversale qui se dénomme bouge. Pour les mêmes raisons,
la tonture est reprise dans les lignes des superstructures, ce
qui leur donne cet aspect "incliné".
Vous avez une bien meilleure expérience
des ST que moi-même, cependant,
j'ai aussi entendu parler de cette dangerosité perçue
par leurs utilisateurs européens et de l'adjonction de crocs de remorque dont les premiers
étaient dépourvus de "circulaire", élément
essentiel de sécurité d'un remorqueur à propulsion
classique.
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En
clair, les ST de facture américaine étaient conçus
pour travailler selon les méthodes d'outre-Atlantique, c-à-d
en "push-pull", solidement amarrés à couple
des navires qu'ils servaient. La méthode européenne
privilégie le travail "en flèche", c-à-d
sous remorque dans l'axe par l'avant et/ou l'arrière, permettant
au remorqueur de plus grandes capacités d'évolution
et somme toute une meilleure efficacité puisqu'il peut agir
d'un bord ou de l'autre du remorqué, alors que le "push-pull"
privilégie en fait le "push", la poussée
sur la coque qui ne s'exerce donc que sur un seul bord, tandis que
le "pull" est tributaire du rendement de l'hélice
du remorqueur en marche arrière, ce que je vous laisse imaginer
sur un remorqueur classique de 700 ch (515 kW) sans tuyère,
comme l'étaient les ST... Mais le fait de travailler en flèche
induit que le remorqueur "navigue" quasi indépendamment
du remorqué alors que la méthode américaine
se limite à l'accompagner solidairement amarré.
L'évolution sous remorque n'était donc
pas la préoccupation première des authentiques ST
qui n'étaient pas prévus pour. La remorque était
tournée en huit sur une bitte en forme de H souvent placée
trop en arrière du point de giration du remorqueur, le bridant
considérablement dans ses évolutions et surtout ne
permettant pas de larguer rapidement si, d'aventure, le remorqueur
se faisait mal prendre, lui-même entrainé par le remorqué,
lors d'évitage par ex. Ce fut la cause de chavirage ou de
blessures des hommes envoyés sur le pont en catastrophe pour
tenter de défaire les tours sur la double bitte. |
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Un
œil à l'extrémité de la remorque, s'il
en facilitait la manutention ordinaire, rendait encore plus dangereuse
la situation puisqu'il devenait alors tout fait impossible de larguer
sous tension (ce qu'en théorie permettaient les "tours"
aux bittes). Il ne restait plus que la solution de la rupture salvatrice
ou de la coupure à la hache, manœuvre extrêmement
dangereuse pour celui qui la faisait, autant que d'essayer de défaire
les "tours" quand le remorqueur gite dangereusement et
que la remorque est donc extrêmement tendue...
C'est pourquoi l'adoption du croc articulé,
largable à distance par un savant dispositif de câbles
et de linguets, améliorera considérablement la sécurité
de ces remorqueurs. Restait encore à perfectionner le dispositif
par l'adjonction d'un bras et d'un rail courbe semi-circulaire,
dénommé circulaire, qui
reporte le point d'application de la force en abord limitant ainsi
l'intensité du couple de chavirement quand, comme c'est le
cas en manœuvre portuaire (à la mer, c'est différent
à cause de la "flèche" qu'il est nécessaire
de conserver à la remorque), les remorques rappellent vers
le haut puisque les navires servis sont généralement
plus hauts que leurs remorqueurs. Pour conclure, la généralisation
des enrouleurs de remorque — qui
elle-même passe sous un arceau central très déporté
vers l'extrèmité opposée aux propulseurs (tracteurs
Voigth ou Aquamasters, pousseurs Stern-Drive) — a permis d'atteindre
un niveau de sécurité jusqu'alors inégalé. |
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