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1957 - 2000    ma carrière de marin.
Pilot Elève Lieutenant
1964
1970
Second
1970
1971
Second
1972
1975
Second
1976
1977
Cdt
1978
1982
Cdt
1983
1986

Bahamas
1986
Cdt
1987
1990
1990
1994
1994
1998
1999

Militaire

Me voilà donc incorporé dans la "Royale" . Je fais mes classes comme tout le monde à Hourtin, le séjour sinistre en hiver dure trois mois, puis je rejoins l'Ecole des Timoniers" à Toulon, au Cap Brun. La guerre d'Algérie n'est pas finie, les marins sont presque tous envoyés à la DBFM, à moins d'avoir une spécialité et de pouvoir choisir un embarquement. Je travaille donc bien à l'école :-) et je sors deuxième, ce qui me permet de choisir un embarquement à Brest. Le timonier dans la Royale n'est pas un barreur, mais un spécialiste des signaux. J'ai ainsi appris le scott parfaitement. On s'en servait encore occasionnellement dans la marine marchande et cet apprentissage m'a servi.

Mon affectation est un petit caboteur, sans armes, qui n'a rien de militaire. Le FALLERON est un ancien caboteur allemand, abandonné à Brest à la fin de la guerre. Nous sommes douze à bord, commandés par un "Premier Maître". Tous les marins sont des inscrits maritimes, six marins pêcheurs et deux commerce. J'ai ainsi passé deux ans dans la Penfeld, avec une balade de temps en temps pour une cargaison de matériels.
La mission la plus particulière était le mouillage au large de munitions périmées. L'opération était curieuse : des charpentiers construisaient dans les deux cales des larges escaliers allant du fond de cale jusqu'au plat-bord. Les obus étaient empilés en fond de cale, et des dockers, postés sur les marches d'escalier, faisaient la chaîne pour les jeter un à un à la mer. Le chargement se faisait soit à la pyrotechnie de Saint Nicolas, près de Brest, ou au Fort des Flamands à Cherbourg. L'immersion se faisait dans une modeste fosse en mer d'Iroise ou au Nord du Cotentin.
 

Grâce aux connaissances acquises comme pilotin j'ai pu préparer seul l'examen de Chef de Quart, et je me suis présenté en candidat libre à Paimpol. Je connaissais bien les calculs nautiques, mais n'avais jamais vu les feuilles spéciales pour l'examen qui facilitaient la tâche. Bonne surprise. Les problèmes de cartes ne posaient pas de difficulté. La seule chose qui m'a fait peur à l'oral c'est que j'ignorais qu'il fallait connaître les règles de barre par cœur. Je l'ai découvert en voyant ceux qui attendaient leur tour pour passer. Horreur ! J'ai passé plusieurs heures à les apprendre mot à mot, et quand j'ai passé, avec un examinateur à la réputation redoutable, M. Birabens, je m'en suis tiré avec les honneurs. Il m'a dit "Bravo, vous avez fait une petite erreur, alors je ne peux pas vous mettre 20, vous avez 18. " Ouf. J'étais donc diplômé Chef de Quart avant même d'être rendu à la vie civile. J'ai passé ensuite le petit concours pour avoir la mention "Théorie", qui permettait de continuer le filière vers le commandement.

Quand j'ai été incorporé la durée du service était de 27 mois, mais cela  a commencé à diminuer petit à petit et j'ai eu la bonne surprise d'être libéré au bout de 24 mois. Heureusement ce n'était pas complètement perdu puisque j'avais récupéré le temps d'un an de cours.


Elève officier

Aussitôt libre j'avais envoyé plusieurs demandes d'embarquement et j'ai pris la première offre. Quelques jours après j'embarquais comme Elève sur le Sainte Claire Deville, de la Sanaga, à Marseille. C'était un beau bateau, très intéressant, un aluminier construit pour Pechiney. Avec son sister ship le Paul Heroult ils faisaient des rotations régulières l'un au départ de Marseille, l'autre de la Corogne.
Rotation typique : chargement de cailloux à Marseille, du calcaire qui servait au traitement de la bauxite. A Conakry déchargement des cailloux et chargement d'alumine à destination de Douala. Là déchargement de l'alumine et chargement d'aluminium en plaques et en lingots dans les cales 1 et 4. Nouveau passage à Conakry pour remplir d'alumine les cales 2 et 3. Déchargement du tout à Marseille, et rebelote . Parfois, suivant les besoins des usines la navette Conakry-Douala était doublée.

J'étais heureux sur ce bateau. Il y avait une équipe d'officiers très sympathiques et gais. Un des lieutenants, Popaul, aimait bien enseigner et m'a beaucoup appris. Je continuais grâce à lui à faire tous les calculs nautiques, à faire des problèmes de carte, à apprendre la compensation des compas, etc. Le commandant était un original, qui prétendait ne pas avoir besoin de nos points sur la carte et naviguait avec son pendule !!! Mais il m'a vite fait confiance pour faire le quart, et j'ai fait le "4 à 8" en solo à la place du Second, à la suite d'un incident embarrassant. Je faisais le quart de 6 à 10 h, deux heures avec le Second puis deux avec un lieutenant. Nous faisions chacun notre point d'étoiles le matin, mais c'était celui du Second qui était pointé sur la carte. Un matin le mien me mettait à une vingtaine de milles de celui du Second, au large de la Guinée. Différence énorme et gênante, mais le Second balaie mes remarques. Mes observations et calculs étaient sur mon cahier, les siens étaient à la poubelle sur des brouillons. Cas de conscience, je le dis au Tonton ou pas. Le point du Second était plus défavorable pour la sécurité car plus au large que le mien, en se basant sur lui on risquait carrément de passer pas loin des écueils. Je me suis décidé à informer le Vieux que mon point n'était pas d'accord avec  celui du Second mais que je le trouvais bon, tout petit chapeau, étoiles bien réparties. Pendule ou pas, il a vite tracé la route en tenant compte de mon point sans faire de commentaires. Et quelques jours après il m'a désigné pour prendre le "4 à 8" en solo.
Le bateau était très intéressant techniquement. Construit spécialement pour Pechiney, tout le château était en aluminium. Les cales 2 et 3, de part et d'autre du château recevaient l'alumine, qui se présente comme une poudre blanche fine comme du talc. Le chargement se faisait tous panneaux fermés, par des trous répartis en plusieurs points des panneaux. L'air évacué, chargé de poussière était filtré en passant à travers des batteries de tuyaux, genre manches à incendie en toile.
Le système de déchargement de l'alumine était spécifique et original. Les fonds de cale avaient une légère pente vers l'axe, et dans l'axe un caniveau avait une légère pente vers le centre du navire. Les fonds étaient tapissés de cadres d'acier sur lesquels étaient tendus des manches en toile, toutes reliées à une connexion unique. Tous ces cadres formaient ainsi un tapis continu de tuyaux en toile, reliés à un collecteur d'air comprimé. A partir du pc cargaison on ouvrait la distribution d'air sur les sections choisies. L'alumine était en quelque sorte ainsi fluidifiée et s'écoulait vers un puits au centre du navire. Là elle était chargée par une grande noria, constitué d'un tapis de caoutchouc auquel étaient fixés des godets en alu d'une centaine de litres. Les godets en arrivant au sommet de leur course se déversait dans une gouttière qui débordait du coté quai et aboutissait aux installations de terre. Tout cela était enfermé dans un carénage, rien à l'air libre.

128,23 x 17,30 x 9,80 m - TE 7,89  - TPL 8 679
P 5 200 cv Doxford 60 SBD4 - V 14 nds
La noria était suspendue à la cardan pour rester parfaitement verticale. La conduite du déchargement, par le lieutenant de quart, se faisait aux instruments. Il disposait d'une série d'interrupteurs, ouvrant la distribution d'air sur telle ou telle portion de la cale. Cela lui permettait de maintenir le bateau sans gîte ni assiette, sinon la noria frottait sur son carénage et endommageait des godets. Au bruit et aux ampèremètres on devinait si les godets étaient bien remplis. Il fallait être vraiment très attentif. Quand on arrivait en fin de déchargement, on ouvrait les panneaux, la circulation était maintenue uniquement dans l'axe, les cadres de manches en toile étaient débranchés et sortis, alors les matelots balayaient ce qui restait vers le caniveau axial. Un déchargement bien conduit laissait un minimum d'alumine à balayer.

Après six mois d'expérience aluminier, je souhaitais voir autre chose, et j'ai envoyé des lettres de candidature à plusieurs compagnies de transport pétroliers. Toutes ont répondu favorablement, mais la SFTP a réagi la première. La procédure m'a interloqué: avant même de recevoir la convocation de la compagnie j'ai eu un appel téléphonique d'un taxi de Paimpol très catégorique "On passe vous prendre le 23 à 6 h du matin, vous embarquez à Anvers". Ah bon ???

Champagne
J'ai appelé l'armement qui m'a confirmé et assuré que le courrier était bien parti. C'est donc ainsi que j'ai commencé en 1963 une carrière à la SFTP qui devait se terminer 37 ans plus tard. Mon premier pétrolier, le "Champagne", avait bonne allure, malgré ses treize ans d'âge. Ce n'était pas un gros pétrolier, même pour l'époque, mais il faisait près de 40 m de plus que le Sainte Claire Deville. Il faisait à ce moment là une rotation régulière : Anvers - La Skhirra (Tunisie) . A Anvers nous accostions un poste sur le fleuve, pas dans les bassins, un peu en amont de la ville. On pouvait facilement faire un tour en bus pour aller boire une bière sur la place Verte. Nous restions environ deux jours à quai. Les traversées duraient une semaine, ce n'est pas long, et à la passerelle ce n'était pas monotone. Il fallait se faire la Mer du Nord, le Pas de Calais et la Manche, bien avant l'instauration de la séparation des trafics, et sans radar, ni aucune aide à la navigation à part le sondeur et le gonio. Une navigation difficile et très formatrice. Dans la brume on ralentissait, on sifflait et on était sur l'aileron de passerelle pour écouter les signaux des autres . Passé Ouessant on traversait le golfe de Gascogne en espérant qu'il n'y aurait pas de tempête. A partir de Lisbonne en général on trouvait le soleil et le beau temps. Les tempêtes ne sont pas inconnues en Méditerranée, mais pas fréquentes sur les côtes f'Afrique du Nord.
Quelques épouses venaient pour l'escale d'Anvers, souvent en profitant du taxi breton qui assurait les relèves. Elles se débrouillaient très bien et quand nous attendions au mouillage sur rade de Flessingue elles allaient chez les pilotes de rade. Elles y étaient très aimablement reçues, et les pilotes les faisaient profiter des pilotines pour les déposer à bord quand ils allaient servir un navire sur rade.
En novembre 1963 nous avons attendu ainsi onze jours sur rade dans une brume dense. A l'arrivée c'était les pilotes qui nous avaient guidés par radio, en nous suivant sur leur radar. Dix nuits avec la cloche sonnant toutes les deux minutes sur le gaillard, et le gong répondant à l'arrière. Le dit gong avait d'ailleurs rendu l'âme et été remplacé par une gamelle de la cuisine. Trois ou quatre épouses avaient pu embarquer le premier jour et on donc fait un long séjour à bord. Ma femme faisait partie de la bande, ce qui nous a valu un heureux événement neuf mois plus tard :-)))