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1957 - 2000    ma carrière de marin.
Pilot Elève Lieutenant
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Commandant. 1978-79-80
Me voilà donc parvenu à la fonction que je visais depuis le début. C'est un tout nouvel aspect du métier qu'il me faut apprendre. Il y a plus de quinze ans que je navigue et j'ai servi sous de nombreux commandants. A mon tour d'essayer d'être un bon commandant. Un des aspects qui me plaît bien c'est de décider des routes à suivre. Le coté qui me déplait c'est la gestion des vivres. C'est un domaine ingrat qui ne devrait pas être celui du commandant, il y a un maître d'hotel. Et la qualité de la nourriture dépend surtout du cuisinier, mais si on mange mal on en veut au commandant, qu'on accuse facilement d'être "un marchand de soupe".
 
Pierre Poulain
Caractéristiques ici
La transition n'a pas été très facile pour deux raisons. Le commandant que je remplaçais ne m'avait pas donné une seule indication pendant la traversée que nous avions faite ensemble, pas un mot. Au dernier moment il m'avait accordé une heure avant de débarquer pour compter l'argent en caisse, me montrer où étaient rangés les classeurs, et les instructions du prochain voyage. Pas très sympathique. La deuxième raison était plus compliquée. La compagnie venait de fusionner avec la CNN, qui elle-même avait fusionné quelques années plus tôt avec la SFTM. Le PIERRE POULAIN était un ex SFTM, qui appartenait en propre à M. Poulain, et j'étais un des seuls SFTPiste à bord. On m'attendait donc avec méfiance et il y avait des petits tiraillements, des rancœurs ... "A la CNN c'était comme ci" ... "A la SFTM c'était comme ça.".
 
Le bateau n'est pas désagréable à vivre. C'est un 76 000 tonnes âgé de 12 ans, en bon état général. Coté cargaison il a une particularité que je voyais pour la première fois, c'est un pétrolier à flot libre. C'est à dire qu'au lieu d'avoir un circuit de tuyautages et de vannes de cargaison, les citernes communiquent entre elles par des portes coulissantes au ras du fond, dans le sens longitudinal et latéral. On pompe dans les dernières citernes ce qui s'écoule des autres grâce à l'assiette. Il y a un minimum de tuyautage pour le ballastage.
Nous faisions surtout des chargements en Afrique, le plus souvent à Bonny, sur la rivière. Cette taille de bateau était à peu près le maximum que le port pouvait accueillir. Nous n'y étions pas à quai, mais sur des coffres au milieu de la rivière. Ces escales à Bonny River étaient assez curieuses. L'accès n'était pas très sûr, avec un chenal tortueux et un balisage pas toujours fidèle. Il fallait ensuite éviter sur place et s'amarrer cap à l'aval sur des coffres. Les "autorités" pratiquaient un véritable racket et exigeaient des cartons de bière, du whisky, de la viande, tout ... Il fallait faire très attention aux vols d'aussières et de n'importe quoi. Un bateau s'était fait voler tous les sièges du carré pendant que tout le monde prenait un pot au salon du commandant. Par contre l'agent était honnête et achetait des cartons de bière qu'il payait en dollars, il les revendait au bar du coin. Quand on prévoyait l'escale j'en achetais 100 cartons pour lui, et tout se passait bien. Je lui avais même rapporté un frigo, sur sa demande, mais là il n'avait pas assez de dollars et m'avait payé en nairas, pas facile à changer.
Il y avait à terre une équipe de Français, employés du terminal, qui logeaient dans un campement de logements préfabriqués. Très sympathiques, ils étaient contents de voir des compatriotes et d'obtenir quelques denrées précieuses, comme du camembert, ou des filets mignons. Ils nous invitaient à dîner chez eux et nous allions ensuite prendre un bière au dancing, la bière qui venait du bord. Ambiance extraordinaire, que des noirs bien sûr à part nous, du boucan, lumière verte, des entraîneuses en perruque blonde.
Une fois l'équipe de bienvenue, douaniers, police, santé, immigration est venue accompagnée d'un personnage inhabituel. Un grand gaillard magnifique, pas loin de 2 m, noir de chez noir, uniforme kaki impeccable, la cravache sous le bras, et un air à ne pas plaisanter tous les jours. Il n'a pas dit un mot, à part Hello en arrivant, et il est resté debout à observer les formalités. Cela s'est passé comme sur des roulettes, tout le monde était très poli et il n'y a pas eu la moindre allusion à un possible petit cadeau. L'agent m'a expliqué ensuite que les armateurs se plaignaient et que cet officier avait été envoyé de Port Harcourt pour remettre de l'ordre.



Donges
Un mois de congé et je prend le commandement cette fois ci du FRUCTIDOR, un sister ship. Cette fois ci c'est plus facile. Je suis rôdé et l'équipage est un peu plus mixé, je connais déjà plusieurs officiers et marins. L'ambiance est très bonne. Les voyages sont un peu variés et pour cette taille de bateau c'est plutôt l'Afrique que le golfe Persique, Dieu merci.
Bougie est un très beau site, mais la manœuvre d'accostage est délicate. Il n'y a pas beaucoup de place pour éviter avant d'accoster cap à la sortie. Une fois il a fallu mouiller les deux ancres en catastrophe pour s'arrêter. Il est un peu dangereux d'aller en ville le soir, les souvenirs de la guerre d'Algérie ne sont pas très loin.
    
Bougie

Sortie de Bougie, cap Carbon

Bureau du commandant

Cap Lopez est un terminal Elf, a coté de Port-Gentil (Gabon). A cette époque l'appontement est tout neuf. Sur cette pointe de sable, portant un phare, il y a un minuscule village de pêcheurs, des Togolais m'a-t-on dit. On nous interdit d'aller s'y promener, des équipages étrangers s'étant très mal conduit avec les villageoises. Une particularité de ces escales c'est les relations souvent amicales avec les officiers des remorqueurs de l'URO. J'ai même une fois été invité à dîner à bord, très sympa. Des épouses étaient là, l'ambiance très cordiale. C'est rare ce genre de rencontre.
     
Cap Lopez
          
Soirée méchoui. Le chef mécanicien et son second s'occupent du barbecue.

Second, pompiste et bosco dans une citerne

Trucage photo réalisé à bord
     
Magnifique repas de Noël

Sd Cap, Chef mec et Cdt

Une bonne affaire de fatras: Il était de coutume de répartir le fatras, c'est à dire tous les rebuts pouvant se monnayer, entre les mécaniciens le bosco et le pompiste. Cela comprend les fûts ou bidons vides, les morceaux d'aussières, vannes cassées, rognures de métal etc. Dans les pays exotiques pauvres on pouvait échanger des fûts contre des fruits ou du poisson frais, voire des langoustes. Mais sur le Fructidor un gros tas d'anciens clapets de respiration des citernes était entreposé dans le magasin milieu . Ils avaient été changés des années auparavant par des soupapes modernes en inox. Tout ça était en bronze ou en cuivre et pesait des tonnes, et j'ai réservé le tout pour l'intérêt général. A qui les vendre ?  Un jour nous attendions sur rade du Havre, et nous avions à bord l'annuaire du téléphone. J'ai cherché les ferrailleurs des environs et je les ai appelés un à un pour leur demander combien ils payaient pour les métaux non ferreux. Réponse du premier 50 centimes  le kilo, le deuxième, le troisième idem... Et puis le enième annonce 5 francs. Bingo, nous tombons d'accord et il se charge des formalités pour pouvoir venir près du bord avec son camion pendant l'escale. J'ai délégué un matelot de confiance pour aller avec le ferrailleur peser le chargement et encaisser le montant. Il est revenu avec une somme importante. Je ne me souviens pas du montant exact mais nous avons pu nous offrir un fusil de ball-trap, avec un lanceur, un stock de pigeons d'argile et de cartouches. Il restait assez d'argent pour acheter deux "flippers" d'occasion et un labo photo.
Tout cela a eu un beau succès. Quelques très bon tireurs se sont révélés, et les flippers ne chômaient pas. Le labo photo était plus difficile à gérer. Il fallait obtenir que les usagers rangent les produits et le papier, et nettoient le matériel. Pour ma part je m'y suis bien amusé, comme par exemple en réalisant ce trucage, ci dessus, où je suis quatre fois sur le même cliché.

Passage devant Gibraltar. On voit les grandes surfaces bétonnées qui
recueillent l'eau de pluie.

En 1980 je suis envoyé, avec mon camarade Chef mécanicien Jean-Yves Demeillat, en mission d'observation à bord du "Changi Star". C'est un pétrolier Aframax récent de 92 000 tonnes, construit à La Ciotat en 1975, sous pavillon mauritien, qui vient d'être acheté à un armateur allemand. Nous embarquons à Suez, le bateau revient du golfe. Le voyage en taxi du Caire à Suez, de nuit, est affreux. Nous pétons de trouille pendant tout le trajet. La route est à quatre voies, mais par endroits deux voies sont fermées par des fûts remplis de cailloux, sans aucune signalisation. Il faut alors rejoindre les deux autres voies en traversant la bande centrale large de plusieurs dizaines de mètres, faite de sable et de débris de construction. Les croisements se font souvent plein phares et je me demande comment le chauffeur garde le cap. Mais on arrive sains et saufs. Après les interminables formalités de douane et immigration nous sommes accueillis par un commandant polonais jeune et sympathique. Les officiers sont tous polonais, l'équipage chinois de Singapour. La bateau va décharger à Hambourg où nous débarquons. Il va ensuite à Lisbonne pour inspection à sec, avant de conclure la vente, et l'équipage français embarque.
Le bateau est dans un état général correct, avec deux gros défauts quand même, une télécommande du moteur très capricieuse, et une chaudière très difficile à allumer. Nous arriverons à réparer la télécommande pneumatique en changeant pas mal de joints minuscules, travail minutieux et délicat. Il a souffert aussi d'un affrètement avec Koweit, pour transporter du naphta. Ce produit est aussi transparent que de l'eau, mais assez agressif pour la tôle. Les fonds de citernes contiennent des dizaines de tonnes de rouille sous forme de plaques comme des ardoises qui forment un mille feuilles.
 

Il reste un voyage à faire pour terminer cet affrètement, notre premier chargement sera donc Koweit, mais nous ne retournerons plus au golfe persique après cela. La taille du navire le désigne plutôt pour la côte d'Afrique et les USA.
     
Changement de pavillon en cale sèche à Lisbonne. Pas de discours.


Adieu au Cdt polonais
 

L'état major du premier voyage 
Au terme de ce premier voyage aller, je débarque à Koweit pour congés. Mais je vais rester à terre plus longtemps que prévu à cause d'un intermède médical malheureux.
Débarqué avec une lombalgie, je souffre ensuite d'une sciatique extrêmement douloureuse. On m'opère d'un hernie discale et trois jours après je suis sur pieds. Mais seulement en sursis, quand je rentre chez moi après une semaine, je ne peux pas me tenir debout, ni même assis, à cause de violentes douleurs. Après deux jours couché, pas d'amélioration, je retourne à l'hôpital et le chirurgien décide de rouvrir pour voir ce qui se passe. Une semaine d'examens divers pour trouver, j'ai tout simplement attrapé un staphylocoque qui me grignote la vertèbre. Il faut deux mois de penicilline, allongé avec un corset pour me retrouver enfin opérationnel. Je retrouve le Touraine à Edimbourg.


Rocher du Diamant (Martinique)

Maracaibo

Combinaison de survie Helly Hansen.

Cet équipement était nouveau pour nous, bien supérieur à la combinaison Rigolet, beaucoup plus chère sans doute. Les bottes et gants permettent de se déplacer normalement et de faire certaines tâches manuelles. J'ai profité d'un séjour sur rade pour en faire la démonstration. J'ai sauté à l'eau depuis le pont, environ 7 m, la vessie s'est gonflée en une fraction de seconde et je me suis retrouvé flottant confortablement sur le dos, la tête soutenue hors de l'eau. J'ai eu juste les cheveux un peu mouillés.

 


Nous avons fait plusieurs chargements à Puerto La Cruz (Venezuela), une belle rade. Au mouillage en attente, nous avons un jour assisté à l'arrivée du voilier école "Simon Bolivar", accueilli par les lances incendie des remorqueurs. Lors d'une autre attente su rade il s'est passé une aventure peu banale. J'avais autorisé le Second et un lieutenant à faire du bateau stop pour aller passer l'après midi à terre, en emportant un talkie-walkie. En début de soirée le Second appelle pour dire "on n'a pas trouvé de bateau pour revenir, on passe la nuit ici et on sera de retour avant midi". Le lendemain matin en effet nous sommes accostés par un beau voilier de 15 m, qui nous ramène les permissionnaires. Les propriétaires sont des français et ont hébergé pour la nuit nos deux lascars, en retour je les invite à déjeuner avec nous, ce qu'ils acceptent avec enthousiasme. Il se trouve que notre état-major compte plusieurs voileux, dont moi,
du coup nos hôtes nous invitent à faire une balade à bord de leur voilier. Nous sautons sur l'occasion de faire deux ou trois heures de voile, les propriétaires n'avaient jamais vu leur bateau marcher comme ça, avec tout dessus. Quels bons moments pour tout le monde, et quelle chance que cette petite attente sur rade. La façon dont les permissionnaires avaient trouvé cet hébergement n'est pas banale. Ils flânaient vers le port de plaisance, se demandant comment passer la nuit, quand ils ont entendu les gens qui marchaient devant eux siffloter "La digue du cul". Ce ne pouvait être que des Français et ils les ont accosté, et ont sympathisé...

Les chargements au Venezuela étaient en général destinés aux ports américains du golfe du Mexique. Le Touraine avait la taille maximum pour accéder à Beaumont ou Lake Charles. D'ailleurs pour monter à Beaumont il fallait passer sous un pont, avec 3 pieds sous la quille et 3 pieds au dessus du mât. Quand on approchait du pont c'était un peu l'angoisse, et le pilote demandait "You are sure about your air draft ? ", "Yes, no problem" mais on serrait un peu les fesses. Je m'amusais à monter en haut du mât et au passage je pouvais toucher le tablier du pont. Après déchargement il fallait "beacher" dans la berge molle pour éviter, et partir avec le même tirant d'eau qu'à l'arrivée, donc un ballast important, mais là pas d'angoisse, on pouvait lire les tirants d'eau avant d'appareiller.
 

Touraine 251,39 x 35,49 x 19,38 - TE 14,55 - JB 47 525 - TPL 92 145 - P 14 932 kW (Sulzer 7RND90) - 14 nds
Renommé Point Armour en 85 puis de nouveau Touraine en 88, il quittera la SFTP en 90 pour devenir Bromsgaard Star, puis Alliance One en 92, Golden Fish, puis enfin Kingfisher en 93. C'est sous ce nom qu'il finit sa carrière en 2000, perte totale, dont je ne connais pas les circonstances.

Sauvetage miraculeux
Nous allions en Lybie pour charger. Ce matin là il y a une jolie brise, nous avons passé Malte et nous trouvons à plus de 100 milles de terre.
Le matin je fais mon petit tour routinier à la passerelle, tout va bien, rien en vue. Si, pas loin de l'horizon une forme m'intrigue, je demande au lieutenant de quart de quoi il s'agit. Il n'a pas eu la curiosité de regarder. Observé aux jumelles la chose m'intrigue et je décide d'aller voir de plus près. Nous mettons le cap dessus pour passer tout près au ralenti. Il s'agit d'une coque de bateau, une épave quille en l'air. Et à une centaine de mètres flotte un radeau de sauvetage. En regardant à la jumelle je n'en crois pas mes yeux, un naufragé est cramponné au radeau et me fait un petit signe de la main
Branle bas de combat. Tout l'équipage pont est mobilisé, on prépare un filet et une échelle de pilote le long du bord. Pendant ce temps j'éxécute un Boutakoff que je réussis presque parfaitement, mais pas tout à fait. Quand le radeau est le long du bord j'ai encore un peu d'erre en avant et doit battre en arrière. Le remous écarte un peu le radeau. Le Second Capitaine a sauté au passage dans le canot avec une amarre, et il aide le naufragé à grimper dans le radeau.
Le Second met un harnais de sécurité au naufragé qui peut ainsi être hissé à bord. Ce n'est pas facile. Ce n'est pas un colis, mais il est pratiquement inerte et ne peut pas s'aider. Je le fais emballer dans des couvertures et frictionner, il est manifestement en hypothermie et il faut quelques minutes pour qu'il commence à frissonner. Quand il a commencé à récupérer assez pour pouvoir déglutir, je lui fait donner du thé chaud et très sucré. Je suis rassuré quand le gaillard, voyant qu'on va le faire boire demande "Is that beer ?"

 

Hissage du naufragé

Transport à l'hôpital
Après quelques heures pour patrouiller les alentours et prévenir les autorités maritimes, le naufragé m'assure qu'il est seul survivant et je reprend donc la route.
Harold, le rescapé, était chef mécanicien à bord de ce supply et nous raconte son extraordinaire aventure. C'est un Ecossais trapu et costaud d'un cinquantaine d'années, et il vient de vivre un double miracle. Le premier, avoir réussi à s'échapper et s'accrocher au radeau, le second, que j'ai aperçu l'épave et eu la curiosité d'aller voir. Ce supply venait de Malte et allait en Lybie avec une pontée de gros tuyaux d'acier. Il ne faisait pas mauvais mais il roulait quand même fortement. Vers 3 h du matin Harold est réveillé par un coup de téléphone, il décroche et a juste le temps d'entendre crier "Chief, chief !" quand tout bascule, il se retrouve en quelques secondes plongé dans le noir, prisonnier de la coque retournée. Il rejoint à tâtons la salle des machines, le local le plus vaste et qui contient assez d'air pour faire flotter la coque. A la nage, toujours à tâtons il trouve un outil et frappe longuement sur une rambarde, mais n'obtient aucun réponse. Apparemment il est seul. Au lever du jour il perçoit une lueur au dessous de lui. La claire-voie est ouverte et le jour se lève, mais elle se trouve à quelques mètres sous l'eau. Pour sortir il faut qu'il plonge, qu'il sorte et s'écarte encore de 5 ou 6 mètres avant de pouvoir remonter à la surface. Il doute de sa capacité à réaliser l'exploit. Un boyau d'air flotte dans le compartiment et il envisage de l'utiliser comme narguilé pour sortir, impossible, il manque de se noyer. Après de longues hésitations il prend son courage à deux mains, perdu pour perdu, autant risquer le tout pour le tout. Et ça passe, avec beaucoup d'angoisse et de gros efforts, il se retrouve à l'air libre, à la nage loin de tout. Il aperçoit alors un radeau de sauvetage qui flotte à une centaine de mètres et dérive lentement. Il le rejoint sans trop de problème mais là... impossible de monter à bord. C'est assez haut, l'échelle est souple et file sous le canot quand il s'appuie dessus. Il y a peu de prise pour les mains et il est épuisé. J'ai fait faire le même essai par la suite dans la piscine, personne n'a pu monter dans un gonflable. Il reste donc accroché, sans pouvoir faire autre chose qu'espèrer un miracle, qui se produit avec l'arrivée du Touraine. Il était temps, il était épuisé, en hypothermie et n'aurait pas tenu beaucoup plus longtemps.

Une fois remis de ses épreuves il a voulu téléhoner à son armateur. A l'époque cela se faisait par ondes courtes avec l'aide de l'officier radio et les communications n'étaient pas toujours très bonnes. Quand il a eu le contact avec le bureau il a annoncé le naufrage et qu'il était seul survivant. Son interlocuteur, sans une ombre de compassion, lui a demandé des détails techniques, du genre "quel était le ballastage, la vitesse etc. " Choqué j'ai pris le micro pour dire "Désolé la liaison est trop mauvaise, on vous rappelera, terminé" .

Harold, entouré des sauveteurs les plus impliqués. De gauche à droite, Second Capitaine Bernard Gervin, Sd Maitre Joël Bezouet, Lieutenant Eugène Bouger, Pompiste Joël Mandart.
Bezouet se comportait en mère poule pour "son" naufragé, alors qu'il professait avant cela une haine tenace contre "ces salauds d'Anglais"!

Conclusions: ce Chef a repris la mer, il m'a écrit quelques mois après pour me le signaler en me remerciant. Il s'est fait engueuler par son armateur. Moi je me suis fait engueuler par le mien parce que je n'avais pas rendu compte immédiatement, et parce que j'avais quitté les lieux sans être sûr qu'il n'y avait pas d'autres naufragés. En fait j'avais le témoignage du Chef, et j'avais avisé la station terrestre responsable de la zone, Rome je crois, qui m'avait libéré. Finalement j'ai quand même eu un diplôme d'honneur de la SNSM, qui fait joli dans mon bureau, et j'ai surtout eu la joie de sauver un marin en grande difficulté. J'ai signalé le problème des échelles de canots gonfalbles au magazine "Safety at Sea" qui a transmis aux fabricants, je ne sais pas si ça a servi mais je crois que les systèmes ont été améliorés.


Le TOURAINE c'est fini, ma carrière va ensuite prendre un virage important.