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1957 - 2000    ma carrière de marin.
Pilot Elève Lieutenant
1964
1970
Second
1970
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Second
1972
1975
Second
1976
1977
Cdt
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Cdt
1983
1986

Bahamas
1986
Cdt
1987
1990
1990
1994
1994
1998
1999

En débarquant de l'Aquitaine je vais rendre visite au siège à Nantes. Je vais voir le Capitaine d'Armement et lui dis que je souhaite prendre ma retraite, mais que j'aimerais continuer à naviguer en free lance sous pavillon étranger. Pas de problème, ça arrange tout le monde. Les candidats pour le pavillon de complaisance ne se bousculent pas. Les choses sont réglées immédiatement avec la compta, et je rentre chez moi libre, pour quelques congés.

Et puis je retrouve mon cher Stolt Energie avec plaisir. Je suis désormais employé et rémunéré par une société écran basée en Suisse, mais c'est toujours Nantes qui gère les embarquements. Cerise sur le gâteau j'embarque à Salvador de Bahia. C'est loin, mais c'est une de mes escales préférées. C'est donc reparti pour une rotation Amérique du Sud - Golfe du Mexique, un beau programme.

Trois casquettes . Trois casquettes parce que j'ai été pendant quelques temps Cdt, Second et Maître d'hôtel. Ce dernier avait débarqué malade et le remplaçant n'était pas encore arrivé. Pour le Second c'était plus grave. En quittant Santos, en cours de chenalage avec le pilote à bord, il avait commencé à faire nettoyer les citernes, dont une qui avait contenu du phénol. Un produit dangereux, corrosif et toxique. A la suite d'une mauvaise manip il avait reçu une bonne douche du produit et c'était la panique, il criait de douleur. Laissant le pilote seul à la passerelle j'étais descendu pour m'en occuper. Je l'avais fait conduire à l'hôpital du bord, déshabiller et mis dans la baignoire, et fait apporter des bidons de 20 L de glycol. On l'avait largement douché avec ce produit mais il ne pouvait pas rester sans soins plus complets. Il avait débarqué en même temps que le pilote, en slip, avec un sac contenant quelques effets, et l'agent avait organisé son transfert direction l'hôpital de Curitiba. Quand la pilotine nous quittait le blessé s'était tourné vers moi, qui surveillait depuis l'aileron de passerelle, en criant "Ne demandez pas mon remplaçant, je reviens !!!!! Sacré bonhomme. Donc j'étais arrivé à Buenos Aires quelques jours plus tard sans Second ni Maitre d'Ho. J'avais donc d'abord reçu les officiels dans mon bureau pour les formalités, puis accompagné les douaniers pour inspecter la cambuse, et ensuite reçu les différents surveyors pour démarrer les opérations commerciales. La charge était un peu lourde mais je faisais face. Par contre je me serais passé d'un incident technique. On déchargeait une cargaison de soude caustique et une fuite s'était manifestée dans une chambre des pompes. Je suis donc descendu dans le local pour examiner la situation, et j'étais géné par des piqures désagréables au cuir chevelu. En me grattant je décollais des touffes de cheveux. C'étaient des gouttes de soude caustique qui me tombaient sur le crane. Heureusement que la fuite était réduite à des gouttes!
Ouf le lendemain matin mon Second est revenu de Curitiba, pétant de santé, avec juste quelques cicatrices de brûlures.

Je ne sais plus pourquoi je ne reste que deux mois à bord, puis je suis muté sur le Stolt Entente, ça me déplait mais rien à faire, impératif. Je débarque à Algeciras et j'ai tout juste le temps de faire un tour à la maison avant de repartir pour Singapour. Encore un long vol ! Le bateau revient en Europe et cette fois ci je débarque à Rotterdam pour trois mois et demi de congés. Et c'est reparti pour Salvador de Bahia de nouveau sur l'Entente. Tournée d'Amérique du Sud et du golfe du Mexique, as usual.

Une passagère encombrante . Au cours d'une escale à San Antonio au Chili, un jeune officier mécanicien, appelons le Antoine, était carrément tombé amoureux fou d'une fille du bordel local, Dolores. Il avait moins de trente ans, était marié à une femme charmante, mais Dolores avait dû lui faire découvrir des choses !!! Quelques jours après nous devions faire escale à Buenos Aires, où nous restions toujours plusieurs jours, entre Buenos Aires même et les ports sur le Parana. Antoine était venu me demander la permission de faire venir Dolores à bord pour la durée de l'escale. J'hésitais un peu mais j'ai accepté devant son ardent désir. Quand nous sommes arrivés, Dolores attendait sur le quai en compagnie de l'agent, pas de problème. Elle avait fait le long voyage en bus, 1 200 km à vol d'oiseau. Les tourtereaux ont donc passé quelques jours au paradis. L'escale suivante devait être Paranagua, pas très loin au Brésil. La veille du départ Antoine, désespéré, est venu me supplier de garder Dolores jusque là. Et j'ai eu la faiblesse idiote de me laisser attendrir, avec la promesse qu'elle débarquerait là. Trois jours après nous étions à Paranagua et j'informai l'agent que j'avais une passagère qui débarquait pour retourner au Chili. Gros problème : Dolores n'avait pas de passeport, juste un papier qui lui permettait d'entrer en Argentine. Catastrophe, me voilà avec cette fille sur les bras. On continue le voyage avec escales à Santos, puis Recife, toujours impossible de la débarquer. Puis le Venezuela, toujours bloqué. Et nous voilà arrivant aux Etats Unis avec une passagère sans passeport. L'immigration là bas ça ne rigole pas. A Houston elle n'eut pas le droit d'aller à terre et l'agent ne réussit pas à la faire débarquer. Je prévins d'avance l'agent du port suivant New Orleans pour qu'il ait le temps d'arranger les formalités et le voyage retour de la fille. Ce ne fut pas simple, pendant l'escale à Baton Rouge, le plus haut port où nous pouvions aller sur le Mississipi, il fallut que j'aille en personne au bureau de l'immigration à Houston pour expliquer la situation et garantir le départ de Dolores pour le Chili dans les 24 heures de son débarquement. Une corvée avec des heures d'attente. Quand je suis revenu à bord, j'ai appris que Dolores, Antoine et le Chef Mécanicien étaient allés se promener à terre !!! Un coup à se faire arrêter par la police. En plus ils étaient un peu pétés tous les trois et rigolaient de mes reproches. Enfin, ouf, Dolores a pu partir en avion, au frais d'Antoine, qui l'a senti passer. Curieusement à la boîte personne ne m'a fait de reproches, ni ne m'en a même parlé, sinon par allusions discrètes. Pourtant j'avais fait une belle connerie. En plus Dolores n'était pas vraiment un canon, petite et mignonne sans plus, mais très disponible, une joyeuse pute à 100%. Quand Antoine étalt de quart à la machine de midi à 16 heures, elle draguait et accordait ses faveurs à d'autres gartuitement. Elle venait dans mon bureau pour me séduire, et elle me disait qu'elle espérait qu'Antoine la ferait venir en France et qu'elle y aurait surement beaucoup de succès si elle y exercait ses talents. Elle m'avait aussi parlé de sa fille, laissée à la garde de la grand mère, et me disait qu'elle en ferait "la puta maxima"! Un cas ! Quand au pauvre couillon d'Antoine, je ne sais pas ce qu'est devenu son ménage, mais l'atterrisage a dû être difficile.

Manila Bar . Les marins philippins sont plus de 250 000 en activité. Ils sont nombreux aussi à terre et dans presque tous les grands ports il y a un "Manila Bar", clé de voûte d'une sorte de réseau informel. C'est ainsi qu'en escale on reçoit beaucoup de visites. A Houston par exemple, où on est en général trop loin pour pouvoir aller faire un tour à terre, des gens viennent à bord et proposent leurs services. Souvent deux ou trois femmes s'installent au réfectoire pour bavarder, parler du pays, pas pour se prostituer, et elles proposent de faire les courses pour ceux qui ne peuvant pas aller au shopping mall. Au besoin elles font aussi des petits travaux de couture. C'est bénévole, elles rendent service à des compatriotes. On a aussi souvent la visite d'un prêtre qui vient dire la messe pour les catholiques, presque tous le sont.
En arrêt technique à Cadiz en 1987 il y avait tous les jours des mamas Philippines à bord. Je m'étais adressé à elles pour faire refaire des rideaux pour le carré. Elles avaient pris les mesures, m'avaient montré des échantillons de tissus, et fait un travail impeccable. L'équipage avait été très fier.
Dans une circonstance scabreuse j'avais admiré l'efficacité du réseau d'entraide. Une histoire dingue. En escale à Santos pour deux jours il y avait 5 ou 6 filles avec l'équipage. Une cargaison que nous devions charger était en retard et Stolt me dit d'aller attendre au mouillage plutôt qu'à quai. Un délégué vient me demander si les filles pouvaient rester à bord. Un peu faux cul je réponds "Quelles filles? Je n'ai pas connaissance de la présence de filles à bord". Bien compris, on va au mouillage et on y passe deux jours pour le plus grand plaisir de mes lascars. Mais catastrophe, message de Stolt "On laisse tomber, vous allez à Paranagua." Une vedette doit venir à bord pour les formalités et je préviens l'agent qu'il y aura des passagères à ramener à terre. Niet, la vedette des "autorités" ne peut pas prendre de passagers. Me voilà donc appareillant avec six clandestines à bord. En arrivant à Paranagua, nous allons tout de suite à quai et l'agent vient me voir, un Suisse très sympa. Avant que j'ai eu le temps d'aborder le problème il m'annonce qu'une embarcation nous accostera le soir, coté mer, pour embarquer des "personnes". Un marin avait téléphoné au Manila bar pour expliquer la situation et tout avait été arrangé en douceur. Bravo!

Peu avant la fin de mon embarquement j'apprends brutalement que le bateau est racheté par Stolt, qui en prend la gestion complète. Catastrophe! Je suis tellement bouleversé, sans m'en rendre compte, que je fais dans la nuit une explosion de psoriasis. Le matin j'ai la paume des mains couverte de squames et je saigne si j'écarte les doigts. Je naviguais au chimique depuis dix ans, sur ces bateaux que j'aimais bien, avec des équipages sympas et je ne sais pas ce que me réserve l'avenir. Du coup je propose mes services à Stolt, et en débarquant je passe à Greenwich pouir rencontrer le chef du personnel. Il commence par me proposer d'embarquer comme Second. Pas question, je commande un chimiquier depuis 10 ans. Alors "junior captain", pas question non plus. Après ces petits marchandages il m'embauche comme Capitaine avec mon ancienneté chez Stolt. Je n'ai plus qu'à rentrer à la maison et attendre une convocation.


J'embarque le 4 septembre sur le STOLT ALLIANCE. Pour une fois j'embarque en France, à Lavera, ce qui est rare. L'Alliance est un petit bateau, le plus petit que j'ai connu. Tous les locaux sont minuscules, à commencer par mon logement.
Ma cabine fait 2 m sur 2. La moitié exactement est occupée par la couchette, et il reste juste la place pour un placard et une chaise. La salle de bains est presque plus grande. Le salon adjacent est presque normal, avec un canapé, deux fauteuils et une table basse. Ce n'est pas commode pour recevoir les autorités pour les formalités dans les ports. J'ai aussi un minuscule bureau, encore plus petit que la cabine, avec un ordinateur et une machine à écrire.
Au départ de Lavera nous allons directement en Asie, et après quelques ports de déchargement nous allons en arrêt technique à Singapour. Sablage complet avant peinture de la carène, du beau boulot. L'ingénieur est un Norvégien jeune et sympathique. Il accepte quelques améliorations dans les emménagements. En particulier je peux m'acheter un canapé et des fauteuils confortables. Le problème est d'en trouver qui puissent passer par les portes.
Chez Stolt le régime est de 4 mois - 2 mois, et je suis payé en couronnes suédoises, mais indexées sur le dollar. Je touche environ 10 000 $ par mois d'embarquement, rien pendant les congés.
La coque a été sablée par le chantier mais il reste à s'occuper du pont et des tuyautages. On embarque une sableuse et quelques tonnes de "grit". Gros travail, beaucoup de poussière. Celui qui est le plus confortable est le sableur. Il est protégé par un casque genre scaphandrier rafraichi par un détendeur d'air, et un peu isolé du bruit. Je l'ai expérimenté quelques heures pour m'en assurer. Avec les sacs de grit, les fûts de produits chimiques, les flexibles et réductions l'ilôt central est bien encombré.  
 La vie à bord est différente pour moi. Avec Franship, sous pavillon étranger, nous étions quatre ou cinq Français. Maintenant je suis seul, avec deux autres occidentaux. Souvent des Norvégiens, mais aussi des Britanniques, Sud Africains,

Exercice d'embarcation. Les Philippins adorent ça et se débrouillent très bien.

Annie a pu faire plusieurs traversées. Elle était une passagère idéale, ne gênant personne, s'adaptant aux conditions et profitant du peu de possibilités. Elle avait un très bon cantact avec l'équipage et à l'occasion donnait au cuistot un cours de cuisine française. Le dit cuistot était aux anges et notait avec dévotion les détails des recettes, pour nous les resservir quand ma femme était partie. Il marquait alors au menu "Gambas à la Anna" !
Le voyage le plus agréable était la tournée des Grands Lacs en été. J'avais de la chance le Stolt Alliance n'était pas équipé pour le grand froid et ne pouvait pas faire cette ligne en hiver. Nous allions jusqu'à Chicago, du tourisme magnifique avec en particulier le passage des "Mille Iles".

Pique-nique de luxe près de la passerelle au cours du passage des "Mille Iles". Sur 80 km avant d'entrer dans le lac Ontario le fleuve est parsemé d'une multitude d'iles, certaines importantes, d'autres minuscules. Pour être compté comme une ile l'endroit doit avoir une maison et un arbre. L'ile de la photo de droite avait été construite par Mr Singer pour son épouse. Le petit château au bord de l'eau est en fait le garage à bateaux, qui pouvait accueillir les yachts sans démâter.

Quelques souvenirs :

Salut aux navires. Entre le lac St. Clair et le lac Huron, me semble-t-il, on passait tout près d'une belle propriété, avec un terrasse donnant sur le canal. Le propriétaite était un original, il avait un grand mât de pavillon, et hissait les couleurs du bateau qui passait, tout en diffusant son hymne national dans d'énormes haut-parleurs. Il avait les pavillons de tous les pays maritimes. Il se tenait au courant par VHF avec les pilotes. Il a ainsi appris que j'étais français, et quand le Stolt Alliance a passé devant chez lui il a joué la Marseillaise et hissé le pavillon français, non celui des Bahamas. Sympa !

Tourisme . En montant les lacs, nous avions une cargaison pour Hamilton, un port très modeste, sur le lac Ontario. Nous sommes arrivés à quai un vendredi soir et l'agent m'a prévenu "Ici ça ne travaille pas pendant le week-end, vous déchargerez lundi". Parfait. je lui ai demandé de me faire venir une voiture de location le samedi matin et j'ai passé, avec ma femme, une splendide journée d'été à me promener. Nous sommes allés voir les inévitables chutes du Niagara, qui ne nous ont pas déçus. Puis nous avons découvert avec surprise, entre les lacs Ontario et Erié, une région de vergers et de vignes. Il y en a 14 000 hectares. Des stands le long de la route vendaient des pêches et autres fruits d'été. Nous avons visité un chai, goûté du vin rouge et acheté quelques bonnes bouteilles.

Séjour au Québec. En redescendant, au cours de ce même voyage, j'ai débarqué à Clarkson, autre petit port du lac Ontario. C'était le 20 août, il faisait beau et je trouvais dommage de prendre l'avion tout de suite. J'ai donc demandé à l'armement de me verser le prix de mon billet d'avion et de me laisser organiser moi-même mon retour. J'ai loué une voiture à Clarkson et nous sommes descendus tranquillement jusqu'à Québec. Huit jours de tourisme magnifique, la plupart des nuits en "couette et café". On ne dit pas bed & breakfast au Québec!


Adieu Stolt : Après deux ans et demi je suis un peu lassé par ces conditions de navigation. Pourtant il y a de bons cotés. Par exemple, sur proposition de Stolt, je partage ce bateau avec un collègue espagnol. Nous convenons entre nous des périodes d'embarquement et de congés, avec un minimum de deux mois d'embarquement. Mais c'est un peu fatigant d'être seul Français. Et puis, si j'ai d'excellentes relations avec les services technique et commercial, je suis vraiment fâché avec le responsable des achats qui me pourrit la vie. J'en ai marre donc et je donne ma démission en avril 1994. Je débarque au Ferrol et rentre à Brest avec une voiture de location.
Je n'ai que 56 ans, j'ai passé l'âge de la retraite pour les inscrits maritimes mais je souhaite continuer à naviguer. Je reprends donc du service chez Franship, en "free lance" désormais. ....