accueil
1957 - 2000    ma carrière de marin.
Pilot Elève Lieutenant
1964
1970
Second
1970
1971
Second
1972
1975
Second
1976
1977
Cdt
1978
1982
Cdt
1983
1986

Bahamas
1986
Cdt
1987
1990
1990
1994
1994
1998
1999

1986-87 Petit intermède sous pavillon français. Un très mauvais souvenir. J'avais juste fini mes congés et attendait d'être rappelé sur le Stolt Energie. Quelques jours avant je m'étais fracturé un os du pied. Sans plâtre, avec une réparation par vis, je pouvais marcher en m'aidant de cannes anglaises. Je pensais passer Noël à la maison et patatras on m'appelle le 19 décembre "Le Camargue arrive à Pembroke, et le commandant Peri a des ennuis de santé. Il faut qu'il débarque à cause de problèmes cardiaques. Tu es le seul disponible, on compte sur toi pour le remplacer". J'aurais pu expliquer que ma fracture du pied m'empêchait d'embarquer. Mais, trop bon trop con, je vole au secours de mon collègue.
Pour aller à Pembroke au Pays de Galles je prend le ferry à Roscoff jusqu'à Plymouth. De là 400 kms en car avec un changement à Bristol. Les déplacements sont très pénibles, en trimbalant ma lourde valise, tout en avançant à cloche-pied sur mes cannes anglaises. Enfin taxi de Pembroke jusqu'au bateau. Horreur près d'un kilomètre d'appontement à pied pour rejoindre le bord! Je laisse ma valise à la porte et en montant j'envoie un matelot la récupérer. Il fait la grimace mais obéit quand je lui précise que je suis le nouveau commandant.
Je monte jusqu'au bureau du commandant qui est ahuri quand il me voit arriver sur mes béquilles. Je le sens très embarrassé quand je lui explique que je viens le remplacer parce qu'il est trop malade pour continuer. Evidemment ses malaises cardiaques étaient dûs à son désir de passer les fêtes chez lui, quitte à sacrifier un collègue. Belle mentalité! Le Camargue est un sister ship du Poitou, et je ne suis pas dépaysé de ce coté là. Mais je naviguais avec des Philippins depuis deux ans et je suis atterré par l'ambiance déplorable à bord avec un équipage français. Tout le monde râle et se plaint. En plus on m'en veut d'avoir accepté de naviguer sous pavillon étranger, je suis un traître. Lorsque le Second me sort ça, je lui explique que si personne n'avait accepté le pavillon étranger il y aurait eu des licenciements, et qu'il ne serait sans doute pas Second. En plus je constate un défaut d'entretien et une totale ignorance du fonctionnement des matériels, le système de téléjauge des citernes est à reprendre entièrement à cause de fuites d'air. Les appareils de lavage ne tournent pas, et en les démontant je vois qu'un pignon qui devrait être libre, a été bloqué par une vis. Lamentable. J'ai hâte de retourner à mon chimiquier, et heureusement mon embraquement ne dure que cinq semaines.


Moins d'une semaine après je repars rejoindre le Stolt Energie, et pas à coté... J'embarque à San Lorenzo, tout en haut du Parana. 11 000 km d'avion long courrier, puis un petit coucou pour les derniers 250 km. Nous chargeons des huiles végétales avant de repartir pour la côte Pacifique, puis rejoindre Houston en passant par le canal de Panama. Je reste cette fois ci six mois et demi à bord. L'embarquement se termine à Cadiz où nous faisons l'arrêt technique. A la fin de l'arrêt je débarque enfin, remplacé par mon Second, très content.
En cale sèche on voit qu'on a glissé souvent dans la vase, la carène est impeccable, sans le moindre fouling. Par contre les flancs sont bien marqués et il faut réparer la bosse faite à Païta.

1987 et 1988 passent en trois embarquements, toujours sur l'ENERGIE, un peu partout autour du monde...

Coup de théatre vers la fin de mon embarquement mon camarade Le Mélinaire, adjoint au Capitaine d'Armement me téléphone. Il m'annonce qu'un nouveu bateau est en construction en Espagne et me propose de suivre la construction puis de prendre le commandement. Je ne suis pas du tout emballé. C'est flatteur mais je suis très bien sur mon chimiquier et passer plusieurs mois à terre ne m'emballe pas du tout. Mais mon camarade insiste et j'accepte à contre-cœur. J'y vois quand même un avantage non négligeable, je serai en 20ème catégorie et cela me permettra de complèter ma retraite à ce niveau.


1989 - Mission à Cadiz
Je pars donc pour plusieurs mois, avec ma femme, en voiture. Moi je n'ai pas besoin de beaucoup de bagages, deux valises et mon sac de golf. Mais les femmes !!!!!
Quand nous partons la voiture est chargée à bloc, en poids et en volume.
Le mois de février n'est pas la saison idéale mais il fait meilleur en Andalousie qu'en Bretagne.
Nous passons la première nuit à Cadiz à l'hôtel et le lendemain matin je me rend au chantier pour rencontrer l'ingénieur d'armement qui est là depuis la pose de la quille. L'accueil est glacial, presque hostile, mauvaise surprise. Je demande ce qui est prévu pour le logement "Ce n'est pas mon problème, voyez ça avec l'agent !" Il me montre où se trouve mon bureau et m'informe des heures de travail du chantier, et c'est tout, ça promet une coopération agréable! Ce qui se confirmera largement.
Je vais donc voir l'agent et lui demande quelles instructions il a de l'armateur. Il doit se charger de me trouver un appartement correct, et c'est fait dans la journée. J'ai un logement de trois pièces, très bourgeois mais pas très bien agencé. C'est bien placé, au deuxième étage d'un petit immeuble tout près du port et le vieille ville.

 

 

Pour la commande de ce navire la SFTM a bénéficié de conditions très avantageuses. Le chantier de Cadiz n'a pas eu une commande depuis cinq ans, et le chômage en Andalousie est dans les 30%, alors le gouvernement espagnol subventionne. La Marine Marchande française donne aussi de l'argent à la condition que le navire soit armé sous pavillon français, avec un effectif de 18 personnes. On croît rêver, la France subventionne les réductions d'équipage. Gérer un navire qui n'est pas en avance au point de vue automatisation avec un équipage aussi réduit, c'est la quadrature du cercle.

Techniquement c'est intéressant de suivre de près la construction d'un grand navire. Ci dessus on voit la mise à bord du moteur, les chaudières sont déjà en place. Il pèse 550 tonnes, et la charge maximum du portique est de 600 t. Petite angoisse donc, mais tout se passe bien.

Ci contre, en avant de l'hélice des pales fixes sont destinées à améliorer le rendement de l'hélice en canalisant le flux d'eau. C'est un brevet Mitsubishi.

Les éléments de coque sont assemblés sur terre-plein, ou dans d'autres chantiers. Ce morceau d'étrave est venu de Séville. Le bulbe est particulier, supposé avoir la même efficacité quel que soit le tirant d'eau. Là aussi c'est une conception de Mitsubishi. Le travail pendant cette période d'assemblage de tôles n'est pas passionnant. Il cinsiste surtout à examiner des soudures. Quand un bloc est prêt, trois personnes vont réceptionner : un représentant du chantier, un du bord et un inspecteur du BV. On examine visuellement toutes les soudures et on fait des marques à la craie pour signaler les défauts, ou demander un examen rayons X. Ensuite une fois le bloc en place on va de nouveau inspecter les soudures de liaison avec le reste. Tout cela est parfaitement ennuyeux et un peu fatigant.

Sur le terre-plein plusieurs chateaux sont en finition. Le notre a moitié moins de sabords que les autres. Interrogé, l'ingénieur d'armement me confirme que c'est lui qui a fait supprimer la moitié, pour économiser un peu au détriment du confort de l'équipage. En plus l'ingénieur du chantier m'explique qu'en réalité cela a coûté plus cher, comme chaque fois qu'on fait une modification. Le même ingénieur du chantier, avec qui j'ai des relations très sympathiques, m'explique que notre ingénieur a aussi fait modifier l'emplacement de la grue à provisions pour condamner l'emplacement de la piscine. Décidement ce monsieur se vengeait sur les marins de je ne sais quelles frustrations.
Quand la coque est mise à l'eau le château n'est pas encore en place, mais les tuyautages sont presque complets.

C'était la première fois que j'avais une embarcation à chute libre. Cette spectaculaire amélioration à la sécurité en cas d'abandon s'est généralisée. Mais à l'époque nous en avons bénéficié uniquement parce que l'alternative était deux embarcations classiques sous bossoirs, ce qui aurait coûté plus cher. Pour faire le premier essai le personnel du chantier avait refusé catégoriquement de participer, notre ingénieur s'était déclaré trop occupé, ah ah ah!!!! Les occupants pour le premier lancement étaient donc les officiers en mission. Dans l'embarcation tout le monde est assis dos vers la chute, tenu sur son siège par un harnais. Le seul qui fait face à la chute c'est le patron de l'embarcation, en l'occurence bibi. Une fois tout le monde en place le patron dispose d'un levier pour libérer la chute. On appuie sur un bouton pour lancer le moteur et on tire le levier et c'est parti... 17 mètres de chute libre ... la pénétration dans l'eau est si brève qu'on ne voit rien et qu'on se retrouve a flot, moteur en route. Magnifique. Un petit rond dans l'eau pour se présenter sous le portique de hissage à poste, l'affaire était menée en quelques minutes et m'a valu les félicitations des observateurs. Très flatté !

La mise en service prend du retard à cause de plusieurs problèmes techniques. En particulier un défaut d'alignement qui provoque le flambage de l'arbre intermédiaire après quelques minutes d'essai du moteur. Un arbre de rechange est disponible mais c'est un travail important de le mettre en place, il faut aller à sec et découper une brêche dans la coque. Manque de chance le deuxième flambe aussi, le chantier ne croyait pas à un défaut d'alignement avec le moteur, mais à un défaut du métal. Cette fois ci il faut aller à Bilbao pour trouver assez rapidement un rechange. Entre temps le calage du moteur est rectifié et ce troisième arbre tiendra le coup.

Quand le baptême a lieu, avec une magnifique marraine, nous sommes encore en cale sèche, mais on fait comme si. Les festivités ont lieu à Jerez, avec un superbe spectacle equestre.
En finissant la visite des emménagements le grand patron me dit "Dites moi Cozanet, ce n'est pas folichon ces emménagements, carrément un peu sinistre. Je vous ouvrirai un crédit pour améliorer ça !". En effet nous n'avons aucune décoration dans cet univers de matériaux modernes, sans couleurs. De plus notre ingénieur s'est acharné à aggraver les choses. Il a exigé un bureau commun pour tous les officiers, au pont n°1, et m'a même confie qu'il s'était arrangé pour que le commandant ne puisse pas aménager un bureau dans son appartement. Appartement qui se réduit à une cabine minuscule, une salle d'eau, et un salon tout aussi minuscule.
Pour illustrer la bonne ambiance : le Capitaine d'armement m'avait téléphoné pour me dire "A la minute où le bateau nous est livré monsieur B. n'a plus aucune autorité et ne doit pas avoir accès à bord." J'ai donc eu le plaisir un peu mesquin, quand j'ai été avisé que le bateau était livré, d'aller trouver l'ingénieur pour lui dire de quitter le bord immédiatement et de ne plus y remettre les pieds. Ambiance !

1990 Mise en Mservice de l'AQUITAINE.

IMO 8710326 - 269,50 x 43,20 x 23,80 m - TE 16,35 m - simple coque
JB 79 767 - JN 28 459 - TPL 148 779
P 13 461 kW, B&W 6S70MC - V 14 nds

Revendu à Teekay en 1993 il devient Tito Tapias, puis Granada Spirit en 2004, United Galiant en 2005. En 2008 il est converti en vraquier sous le nom de Hebei Genius, et finit à la casse en 2013 après seulement 13 ans de service.

Si la construction n'avait pas été plaisante les débuts en mer sont catastrophiques. Pour le premier voyage nous chargeons à Bonny pour Le Havre. C'est l'hiver il fait très mauvais dans le golfe de Gascogne et un défaut idiot se manifeste :
Le roulis est sensible et on s'aperçoit que les soupapes de respiration crachent du brut à chaque coup de roulis. Avec le vent et les embruns le pont principal est vide tout gras et glissant, souillé de traces noires.
Mauvais effet pour une escale inaugurale. Ce n'est pas avec notre équipage squelettique que nous pouvons nettoyer et il faut faire appel à une entreprise.
Le déchargement se déroule normalement, et rien ne vient perturber la petite cérémonie organisée pour recevoir les autorités portuaires.

J'ai la grande suprise dix ans plus tard de recevoir ces photos prise par Eric Houri. Il a vu mon site Internet et a eu la gentillesse de m'envoyer ces souvenirs.

 
Le deuxième voyage, pour moi le dernier, n'est pas une réussite. Chargement au Cap Lopez, ce qui donne l'occasion de me faire plaisir avec le canot de secours. Par contre la traversée vers le Texas sera laborieuse. Les pistons crament les uns après les autres. Une fois épuisée la réserve de trois rechanges, il a fallu faire relâche à Fort de France pour en embarquer trois de plus, venus d'Europe par avion.
Je débarque à Corpus-Christi, soulagé de savoir que je ne reviendrai pas. Il est temps de retrouver le chimique.