Voyager en cargos et navires spécialisés
Pourquoi et comment
?
Françoise Massard

Préambule : On nous demande souvent comment voyager en cargo et payer son voyage en travaillant à bord. Il faut bien savoir que c'est impossible. Pour travailler à bord d'un navire, quelle que soit la fonction, il faut avoir des diplômes professionnels.

Depuis l'épidémie de Covid les embarquements de passagers sont devenus rares
Nombreux sont les passionné(e)s de navires à avoir, comme moi, lu les ouvrages de Blaise Cendrars, Annita Conti, Joseph Conrad, Pierre Loti, Patrick O'Brian, Paul Mac Orlan, Edouard Peisson, Roger Vercel, Jules Verne... et tant d'autres auteurs, contemporains ou non, qui nous ont fait rêver dans leurs sillages sur toutes les mers du monde. Et, d'ailleurs, moi qui ai fait assez récemment un demi-tour du monde à bord du porte-conteneurs CMA CGM NABUCCO, je dirais comme Blaise Cendrars : "Le voyage en mer est un émerveillement... une manière d'être heureux à bord entre ciel et mer, sans chagrin du départ, sans souci d'arriver..., je n'étais pas pressé."

 

 


Le Globe terrestre, c'est 71 % de mers et d'océans sillonnés par environ 50 000 navires marchands
et... 98 % du transport de marchandises s'effectuent grâce à la Mar-Mar
Qu'est-ce qu'un cargo ?

Mais qu'est-ce qu'un cargo ? Navire de commerce, il peut être polyvalent ("cargo mixte", dont les Ro/Ro ou Roll-on/Roll-off, transbordeurs et autres car-ferries) ou spécialisé : porte-conteneurs, pétrolier, chimiquer, minéralier, gazier, câblier, voiturier, vraquier, navire réfrigéré (reefer), bananier, ..., ou encore navire océanographique, brise-glace, baliseurs, ravitailleurs, etc. Ci-après, quelques exemples de cargos.
MAERSK FLENSBURG
ALGARVE
CHASSIRON
PIERRE LD
Porte-conteneurs
MAERSK FLENSBURG

Pétrolier
ALGARVE
Chimiquier
CHASSIRON
Minéralier
PIERRE LD
LNG RIVERS
ILE DE BREHAT
TORTUGAS
POURQUOI PAS ?
Gazier
LNG RIVERS
Câblier
ILE DE BREHAT
Roulier
TORTUGAS
Navire océanographique
POURQUOI PAS ?
Nombreux autres exemples de cargos dans les rubriques Petits reportages et Au jour le jour.
 
On peut choisir de voyager sur des cargos assurant des lignes régulières ou, au contraire, sur des cargos naviguant "au tramping" qui, comme leur nom l'indique (tramp signifiant vagabond en anglais), choisissent leurs destinations en fonction du marché.

D'autres types de cargos
COTE D'ALBATRE
STONES
VILLE DE BORDEAUX
SANTA CATHARINA
Transbordeur
COTE D'ALBATRE
Vraquier auto-déchargeant
STONES
Navire spécialisé
VILLE DE BORDEAUX
Cargo réfrigéré
SANTA CATHARINA

Tous les cargos ne prennent pas forcément des passagers. Cela dépend de la politique commerciale de l'armement, du nombre de cabines disponibles à bord et, bien sûr, selon la dangerosité de la cargaison. Les cargos qui, actuellement, prennent le plus de passagers sont les porte-conteneurs.



Pourquoi voyager en cargo ?

Et pourquoi un voyage en cargo ? Pas pour aller vite d'un point à un autre, encore que les navires les plus modernes filent à plus de 25 nds (soit près de 50 km/h), mais pour voyager autrement : être en mer à bord d'un navire marchand peut être un but en soi. La destination n'est plus une ville ou un pays, mais un océan ! Une californienne n'a-t-elle pas effectué une cinquantaine de navigations au long cours sur une trentaine de cargos ! "Voyager en cargo, c'est revenir à l'origine étymologique du mot "voyager" qui signifiait "parcourir le chemin" et non arriver quelque part" rappelle Hugo Verlomme. Voyager en cargo, c'est aussi découvrir un nouveau rapport au temps. C'est également un fabuleux moyen d'approcher le travail de ceux qui permettent 98 % du transport total de nos biens de consommation. Et que dire de la beauté d'un lever ou d'un coucher de soleil !

Mais bien sûr, rien à voir avec "La croisière s'amuse" : à bord d'un cargo, la priorité n'est pas le passager mais le fret ! Le passager doit se distraire seul, mais bibliothèque, discothèque, vidéothèque, salle de sport et souvent piscine sont à sa disposition. De plus, rien ne l'empêche de se munir de livres et autres occupations favorites... puisqu'il a droit, contrairement aux voyages aériens, à une centaine de kilos de bagages, voire plus sur certains navires. Les bicyclettes sont parfois autorisées.

Salon passagers
CMA CGM NABUCCO
Salle de sports
EVITA
Piscine
CMA CGM NABUCCO
Tournoi de ping-pong
CMA CGM NABUCCO


Les motivations des passagers sont bien sûr multiples et diverses. Mais il existe des points communs entre eux : besoin de solitude , de tranquillité (le "temps retrouvé"), attrait de la mer, recherche d'authenticité, volonté de découvrir la vie des marins dans ce huis-clos qu'est un cargo, rejet de la superficialité des voyages en paquebot et du tourisme de masse, etc. On trouve, parmi les passagers, des écrivains, des peintres, des thésards, mais aussi tout simplement des retraités qui ont le temps... ou encore des phobiques de l'avion !

Mais attention, les voyages en cargo sont désormais si prisés qu'il faut, au moins pour certains d'entre eux, comme le "Tour du monde", retenir plusieurs mois à l'avance, voire plus d'un an !



Où aller à bord d'un cargo ?

Les destinations possibles sont extrêmement variées et couvrent toutes les mers du monde : du cabotage en Mer du Nord, en Baltique ou en Méditerranée, aux traversées transatlantiques ou transpacifiques, sans oublier les "tours du monde", les voyages d'exploration, les expéditions extrêmes (Arctique et Antarctique) ou encore un voyage à Saint-Hélène.

Via le canal de Panama
Quelques ignes régulières
Via le canal de Suez


Comment vit-on à bord d'un cargo lors d'un embarquement au long cours ?

Et comment se déroule la vie à bord d'un cargo ? Il y a, à bord, en sus de l'équipage, de un (ce qui fut mon cas sur une grosse partie du voyage) à douze passagers au maximum (car, au-delà, il devrait y avoir un médecin à bord, selon les règles de l'Organisation maritime internationale – OMI). La vie y est très confortable, la plupart des cabines étant spacieuses et bien équipées, éclairées par des sabords, parfois plus luxueuses que sur des paquebots. Un garçon de cabine se charge généralement de l'entretien. Cf., par exemple, ma cabine à bord du CMA CGM NABUCCO. Rangements, réfrigérateur, bureau, coin-salon, salle d'eau avec toilettes privées, air conditionné, etc. Les passagers disposent de machines à laver et à sécher le linge, ainsi que fer et table à repasser. Il existe une boutique à bord, ouverte à certaines heures, où équipage et passagers peuvent acheter hors taxes boissons et cigarettes. Moyennant le respect des règles de sécurité, rappelées par le Commandant (le seul "maître à bord après Dieu") ou par son Second (le Capitaine, dit le "Chien du bord", humour oblige), les passagers ont généralement accès à tout le navire, y compris passerelle et salle des machines, mais bien sûr à condition d'être discret et de ne pas gêner les manœuvres. Ci-dessous, des photos prises lors de mon embarquement (deux mois) à bord du CMA CGM NABUCCO.
Accès libre à la passerelle..., j'y avais même établi mon bureau !
Impressionnant moteur
Les passagers partagent la salle de restaurant, voire la table, des officiers, les repas étant servis à heures fixes pour respecter les "quarts" de l'équipage. A certaines occasions, les passagers sont invités au salon des officiers.
Repas partagé avec les officiers
Discussion autour d'un pot au salon des officiers

Plus besoin de jeter une bouteille à la mer dans les détroits pour rester en contact avec sa famille et ses proches : le télephone satellitaire et les liaisons internet sont désormais aisées à bord des cargos. Si les laisons téléphoniques restent chères, les courriers électroniques sont tout à fait abordables, chaque marin et chaque passager ayant son adresse électronique personnelle (avec mot de passe).


Comment se passent les escales ?

Le passager est très autonome à bord d'un cargo qui est pour lui un véritable espace de liberté. Seule contrainte : être à bord lors de l'appareillage ! En effet, en fin d'escales, le navire n'attend pas les passagers... Rappelons que les escales peuvent durer de quelques jours, pour les plus longues, à quelques heures pour les plus courtes... et parfois de nuit uniquement. Le passager d'un cargo ne descend donc pas à terre à chaque escale, d'autant que les terminaux portuaires sont parfois éloignés des centres-villes. Il faut en être conscient avant de partir pour n'en être point frustré. De toute façon, les escales doivent être préparées avant l'embarquement : certaines d'entre elles nécessitent en effet des visas ou des vaccinations et, si possible, de la monnaie locale, ne serait-ce que pour payer le taxi vous permettant de quitter le port. Les plans des villes-étapes peuvent également s'avérer très utiles. Avant de quitter le navire, toujours penser à prendre le numéro de téléphone du bord et, a contrario, à donner son numéro de portable afin d'être tenu au courant si le navire devait appareiller plus tôt que prévu. Enfin, ne pas hésiter à se faire écrire sur un papier, dans la langue locale... surtout pour les escales chinoises... le nom du port et le nom du quai auquel est amarré le cargo. Cette sage précaution peut s'avérer très utile pour le chauffeur de taxi !



Quelques exemples de cargos prenant des passagers et leurs lignes régulières

LONDON SENATOR
Ex SEA ENDEAVOUR
Europe-Amérique du Nord
CMA CGM HERODOTE
Europe-Guyane-Brésil
CAP VILANO
Europe-Panama-Chili
CMA CGM FORT ST LOUIS
France-Antilles françaises
PR MULTANOVSKIY
Ligne Tour du Monde
Brise-glace en Antarctique


Comment choisir et réserver son embarquement à bord d'un cargo ?
Mais alors, comment embarquer sur un cargo ? Il faut d'abord décider de la durée du voyage : de quelques jours à plusieurs mois, et la partie du monde vers laquelle on veut naviguer. Puis choisir son port d'embarquement préférentiel : sur les voyages circulaires (les "round-trips"), on peut effectuer tout ou partie du voyage. Selon les objectifs qu'il s'est fixé, le passager peut privilégier tel ou tel type de navire : les escales seront généralement plus longues sur un vraquier que sur un porte-conteneurs. La langue internationale dans le monde maritime est l'anglais, mais les équipages sont de diverses nationalités (européens, mais aussi philippins, russes, roumains, africains, etc.). Le passager pourra donc préférer telle ou telle compagnie et tel ou tel pavillon – dont dépend la nationalité de l'équipage et des officiers en particulier – en fonction de ses propres aptitudes linguistiques.
Depuis le covid 19, Cma Cgm et la plupart des compagnies ont cessé de prendre des passagers. Pour le moment la seule agence que je connaisse est ci dessous:
Pour trouver le navire et le voyage qui vous conviennent vous pouvez vous adresser à une agence de voyages spécialisée :
Voyages en Cargo
(Cma Cgm, interrompu par le covid)
Mers et Voyages
(semble avoir fermé)


Voyager en cargo, oui, mais pour quel coût ?

Le temps des "cargos mixtes" où l'on embarquait gratuitement comme passager, en échange de travaux effectués à bord, est définitivement révolu. Le tarif des voyages en cargo est, selon la qualité des "prestations" à bord du navire, compris entre 100 et 150 € par jour. Le tarif à retenir est donc de l'ordre de 130 €/jour. Alors, bien sûr, si vous voulez aller d'un point à un autre, on trouve certainement des compagnies aériennes "low cost" beaucoup plus intéressantes. Mais si l'on choisit le cargo, c'est en grande partie pour le voyage lui-même, comme on réserverait une chambre dans un hôtel de bonne qualité (les prestations y sont les mêmes). Le "prix journalier cargo" comporte en effet non seulement la nuitée, mais aussi les trois repas... vin et café le plus souvent compris, ainsi que service à table et en cabine, avec libre accès aux commodités du bord (piscine, gymnase, bibliothèque, vidéothèque, buanderie, etc.). En général, ce prix inclut également les taxes portuaires, les frais de douanes, etc. (se renseigner). C'est donc l'ensemble des prestations à bord du navire, durant la navigation, qu'il faut comparer à l'ensemble voyage + séjour en hôtel d'une durée comparable.


Enfin...

Une dernière question, mais récurrente : une femme seule peut-elle voyager en cargo ? Réponse sans ambages : oui ! Bien sûr, même si les écoles d'Hydrographie – les Hydros – s'ouvrent progressivement aux femmes, la Mar-Mar reste encore un milieu masculin. Mais les marins sont des gens respectueux. Aux passagers de l'être également.

Enfin, un dernier conseil, ne jamais prononcer à bord le mot "lapin"... il paraît que cela porte malheur. Tout le monde en rit, mais tout le monde l'évite... Alors, si nécessaire, vous pourrez parler de "la bête", de "l'animal aux grandes oreilles" ou encore, plus poétiquement, de la "langoustine des prés"...



Bien sûr, avant de partir, il est recommandé de lire quelques ouvrages maritimes, afin d'acquérir un minimum de vocabulaire maritime. Vous en serez d'autant mieux accepté.


Partagez aussi les multiples expériences d'un autre passager au long cours
qui a commencé à naviguer très jeune, dans les années soixante, et continue
à le faire sur toutes sortes de navires



Soleil se levant très brillant
Sans nuages à l'horizon
Belle journée, dit la raison
Virgile

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